Le cas Jacqueline Sauvage : vers une légitime défense différée ?

Ombre d'un homme battant l'ombre d'une femme - légitime défense

Jacqueline Sauvage a été condamnée par la cour d’assises de Blois à dix ans de prison pour avoir tué son mari, qui l’a battait et abusait de ses enfants depuis de très nombreuses années.

Cette condamnation a provoqué de fortes réactions des associations de femmes battues, ainsi que des débats tant dans la société qu’au Parlement. Devenue le symbole de la lutte contre les violences conjugales, Jacqueline Sauvage a suscité la signature d’une pétition par 150 000 personnes demandant sa grâce présidentielle. 36 parlementaires ont déposé une proposition de loi pour faire reconnaître le concept de « légitime défense différée« .

Ce concept là ne risque-t-il pas de produire des effets néfastes et d’octroyer un permis de tuer ?

 

Définition de la légitime défense

La légitime défense est exceptionnelle et permet à une personne qui est agressée de se défendre en utilisant des moyens proportionnés par rapport à l’attaque qu’elle subit.

Cette riposte doit intervenir au moment de l’agression et non après, rendant l’acte de défense nécessaire et indispensable.

Ainsi, l’article 122-5 du Code Pénal prévoit :

« N’est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d’elle-même ou d’autrui, sauf s’il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l’atteinte.

N’est pas pénalement responsable la personne qui, pour interrompre l’exécution d’un crime ou d’un délit contre un bien, accomplit un acte de défense, autre qu’un homicide volontaire, lorsque cet acte est strictement nécessaire au but poursuivi dès lors que les moyens employés sont proportionnés à la gravité de l’infraction. »

 

Exemple de légitime défense dans un cas de violences conjugales

Alexandra Lange, jugée en 2012 devant la Cour d’Assises de Douai, a été acquittée du meurtre de son mari, qu’elle avait tué en état de légitime défense. L’avocat général, Luc Frémiot, avait lui-même requis l’acquittement de l’accusée. Elle subissait depuis des années des violences conjugales physiques  ainsi que des violences psychologiques. Elle avait tué son mari de coups de couteau alors même qu’elle était frappée.

Son geste était concomitant aux violences qu’elle subissait et son acte de riposte proportionné aux coups reçus.

 

Légitime défense différée : protection ou dérive ?

A l’initiative de la députée Les Républicains Valérie Boyer et de trente-six  parlementaires, un projet de loi a été mis sur la table pour ouvrir la notion de légitime défense des femmes battues de manière plus extensive. La légitime défense serait admise dans l’hypothèse où la riposte de la victime n’interviendrait plus concomitamment à l’acte de violence subi.

Cette idée est issue du  double constat affligeant selon lequel tous les deux jours une femme meurt sous les coups de son compagnon, que 200 femmes sont violées tous les jours, et que la plupart des victimes, sous emprise de leur agresseur, n’entame pas la démarche de déposer une plainte pénale ou de fuir l’auteur des faits.

Bien qu’elle déclare  que « ce n’est pas un permis de tuer que je veux délivrer« , est-ce que cette extension de la légitime défense ne risque pas de couvrir des actes intentionnels (coups et blessures, meurtres, voire assassinats avec préméditation) et d’ouvrir la légalisation à de véritables règlements de comptes ? Est-ce que les jurés de Nancy en mars 2016 suivront la même orientation dans le cas d’une femme subissant des humiliations et des insultes quotidiennes qui a tué son compagnon d’un coup de carabine pendant qu’il dormait ?

Silhouette armée pointant un fusil sur une personne qui marche - légitime défense

Cette proposition de loi n’a pas pour vocation de protéger et de prévenir les violences faites aux femmes mais seulement de leur donner un permis de tuer. Un travail considérable d’information et de prévention serait nettement plus pertinent et efficace pour protéger les victimes en donnant les moyens les moyens aux différents acteurs tels que les associations, les services sociaux, les médecins, l’Education Nationale, la Police, les hôpitaux. Ces derniers sont les plus à même d’aider les victimes à briser le silence et à se libérer de l’emprise de leurs bourreaux, sans qu’elles aient elles-même recours à un acte de violence ultime et définitif.

A l’issue de ce parcours, elles peuvent saisir un avocat pour défendre leurs droits, que ce soit en termes de droit de la famille, de droit pénal que de droit des enfants mineurs.