La réforme du droit des contrats, vers un renouvellement du Code civil

La réforme du droit des contrats, un pas vers un renouvellement du Code civil

Par une décision du 28 avril 2005, le Conseil constitutionnel a consacré un objectif de valeur constitutionnel d’accessibilité et d’intelligibilité de la règle de droit fondé sur la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789. Ce principe vise à « prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d’arbitraire, sans reporter sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n’a été confiée par la Constitution qu’à la loi » (Cons. Const., n° 2005-514 DC, 28 avr. 2005, cons. 14.).

C’est précisément au nom de cet objectif que, le 10 février 2016, le gouvernement a pris l’ordonnance n° 2016-131 portant « réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations ».

 

 

Une réforme longuement préparée en vue de simplifier le droit

 

En premier lieu, évitons les faux procès. Certes, cette réforme est passée par la voie réglementaire et on peut regretter qu’elle ne se soit donc pas accompagnée d’un débat parlementaire véritable. Cependant, malgré les accusations essuyées par le gouvernement sur le sujet, le texte n’a pas été rédigé en coulisses et ressort bel et bien d’un long travail de réflexion orchestré en concertation avec les professionnels du droit.

S’appuyant sur une habilitation de la loi du 16 février 2015, la chancellerie a élaboré un avant-projet d’ordonnance qu’elle a soumis à une consultation publique en ligne entre le 28 février et le 30 avril 2015. Signe de l’efficacité de l’enquête et de la prise en considération des 300 avis émis à cette occasion, l’ordonnance finalement retenue est substantiellement différente de l’avant-projet initial.

A côté de cette consultation publique, les sources d’inspirations de la chancellerie sont nombreuses, tant le droit des contrats a fait l’objet d’avant-projets de réforme, en France et en Europe, comme en témoignent les avant-projets des professeurs Pierre Catala et François Terré.

A la lumière de la multiplicité des travaux entrepris, il est évident que la réforme du droit des contrats est un impératif incontournable dont la réalisation était fortement attendue. En l’absence d’accord sur une réforme européenne, la France se devait d’adapter son arsenal juridique national à la modernité.

 

 

Un droit obsolète ?

 

Introduit il y a plus de deux siècles, le droit commun des contrats est resté largement inchangé depuis la promulgation du Code civil napoléonien le 21 mars 1804. Si les juristes s’accordent sur l’élégance et la concision des articles rédigés à l’époque, il n’en reste pas moins que nombre d’entre eux accusent aujourd’hui leur grand âge. Au regard de la complexité de certains textes, l’idéal d’accessibilité du droit semblait devoir rester lettre morte. De plus, la seule lecture des articles du Code civil ne permettait plus d’appréhender la réalité du droit positif en vigueur, tant les interprétations jurisprudentielles ainsi que l’évolution des pratiques et des mœurs en ont modifié la substance au fil des ans.

Si « nul n’est censé ignorer la loi », du moins en théorie, encore faudrait-il que la loi soit compréhensible pour l’ensemble des citoyens français. En effet, la légitimité du droit repose sur la possibilité offerte à tous de pouvoir en saisir la teneur, sans avoir à passer par un spécialiste à chaque interrogation. S’il est illusoire d’espérer rendre limpide le droit de l’urbanisme ou le contentieux fiscal, force est de constater que cet objectif paraît réalisable en ce qui concerne le droit des contrats, pierre angulaire des relations entre individus.

Dans cette perspective, l’ordonnance du 10 février 2016 a cherché à simplifier le droit par l’utilisation de tournures plus contemporaines. Majoritairement formelle, cette réforme s’est opérée en grande partie à droit constant, c’est-à-dire sans modification du fond du droit mais en redéfinissant les contours d’anciens grands principes. La lecture du Code civil devrait se trouver facilitée pour les néophytes, mais il suffit de penser que le célèbre article 1134, relatif à la force obligatoire du contrat, va être scindé en deux nouveaux articles pour s’apercevoir que les juristes expérimentés auront sans doute quelques difficultés à perdre ainsi leurs repères.

Le gouvernement a su profiter de cette ordonnance pour consacrer dans des règles bien ancrées dans notre droit mais non écrites. Reprenant des solutions jurisprudentielles constantes, l’ordonnance fait entrer dans le Code civil la réticence dolosive, l’enrichissement injustifié, la faculté de fixation unilatérale d’un prix… autant de notions inventées par nos juridictions mais jusqu’à présent jamais véritablement reconnues par un texte légal. Il en va de même concernant des mécanismes issus de la pratique, comme par exemple la cession de dette, de créance ou encore de contrat.

Bien loin d’un simple réagencement des articles du Code civil, qui semble émouvoir une partie du monde juridique plus que de raison, l’ordonnance portant réforme du droit des contrats constitue un vrai renouvellement de la matière.

 

 

Une refondation au service de l’attractivité du droit français à l’échelle internationale

 

Au-delà du « choc de simplification », pour détourner une expression chère au gouvernement, l’objectif poursuivi par le ministère de la Justice est également de renforcer l’attractivité de notre droit à l’échelle internationale. Le conservatisme entourant la discipline tend à faire de la singularité de notre droit une sorte d’exception culturelle juridique à chérir et préserver. En réalité, de par son originalité et son ancienneté, le droit français des contrats est apparu déconnecté des préoccupations contemporaines, et notamment des acteurs internationaux qui le jugeait difficile d’accès. Les réformes du droit des contrats menés par des pays s’étant initialement inspirés du code napoléonien, comme l’Allemagne ou le Portugal, sont ici particulièrement significatives. Sans aller jusqu’à prôner une unification mondiale de droit des contrats, il convient de souligner que le souci de protection d’une culture juridique trouve sa limite dans un impératif d’harmonisation minimum, condition sine qua none pour assurer l’attractivité de notre système juridique.

Malgré tout, les résistances ont été nombreuses, comme en témoigne la levée de boucliers engendrée par l’abandon de la notion de cause, trop sujette à controverse et éloignée des droits étrangers notamment anglo-saxons. Le but recherché par la chancellerie était notamment de garantir une sécurité juridique aux cocontractants en supprimant une notion opaque et trop souvent incomprise.

Défendre cette exigence de sécurité juridique participe de la volonté d’accroître le rayonnement du droit français. C’est dans cette optique que l’ordonnance consacre le principe de bonne foi des cocontractants à tous les stades de la vie du contrat, principe reconnu par la doctrine comme essentiel et déjà largement consacré dans de nombreux droits étrangers. Les « actions interrogatoires » sont aussi issues de la volonté de sécuriser les relations contractuelles en permettant :

 

  • à un tiers envisageant de conclure un contrat faisant l’objet d’un pacte de préférence de mettre en demeure le bénéficiaire du pacte de confirmer ou non l’existence dudit pacte et sa volonté ou non de s’en prévaloir (nouvel article 1123 du Code civil) ;
  • à un tiers ayant des doutes sur l’étendue des pouvoirs du représentant conventionnel d’un cocontractant pour conclure un acte de demander au représenté de lui confirmer cette habilitation du représentant (nouvel article 1158 du Code civil) ;
  • à un cocontractant de demander à l’autre partie au contrat si elle entend se prévaloir de la nullité du contrat et doit alors confirmer et donc régulariser le contrat ou agir en nullité dans un délai de six mois (nouvel article 1183 du Code civil).

 

L’ordonnance a aussi eu pour ambition d’assurer un équilibre contractuel de base, comme le démontre l’introduction d’un devoir général d’information et la reconnaissance légale de la théorie de l’imprévision, présente de longue date en droit anglo-saxon, permettant au juge de modifier ou résilier judiciairement un contrat lorsque celui-ci devient excessivement onéreux à la suite d’un changement de circonstances que les cocontractants ne pouvaient prévoir lors de la conclusion du contrat.

Plusieurs comportements et clauses se trouvent ainsi prohibés au nom de cet équilibre. La violence économique fait son apparition et correspond à la situation dans laquelle l’une des parties se trouve en situation de dépendance par rapport à l’autre, qui en tire volontairement un profit abusif. Sont également sanctionnées les clauses abusives. Afin de prévenir un usage inconsidéré de cette nouvelle disposition, non conçue comme une seconde chance après une mauvaise négociation, celle-ci ne sera invocable qu’en cas de contrat d’adhésion, c’est-à-dire lorsque l’une des parties s’est trouvée face à un contrat standardisé préparé à l’avance par son cocontractant, se trouvant contrainte de signer l’ensemble sans discussion réelle.

Faisant écho à la loi pour une République numérique, l’ordonnance du 10 février 2016 cherche à réactualiser le droit à l’aune des évolutions technologiques. Une copie fiable, réalisée sur un support électronique, aura désormais la même force probante qu’un original. Par conséquent, les entreprises pourront désormais se défaire de leurs documents physiques bien plus facilement en procédant à un archivage électronique.

 

Une étape inscrite dans un mouvement général de rénovation du droit civil

 

Les praticiens ont jusqu’au 1er octobre 2016 pour se faire au nouveau droit des contrats, notamment au chambardement des articles du célèbre livre rouge, qui n’entrera en vigueur qu’à cette date. Les contrats conclus antérieurement à cette date sous l’empire de la loi actuelle lui demeureront soumis, à l’exception de quelques nouveautés qui trouvent à s’appliquer immédiatement à l’instar des actions interrogatoires. Aussi, les juristes devront sans doute conserver leur ancien Code civil à côté d’une version actualisée pendant quelques temps, tout en prêtant une attention toute particulière à la date de conclusion des contrats.

Si l’ordonnance du 1er février 2016 peut être saluée au titre de l’heureuse refonte qu’elle opère, il faut également souligner que cette réforme n’est qu’une simple étape inscrite dans un mouvement général de rénovation du droit civil. Ainsi, le 5 février 2016, soit quelques jours seulement après que cette ordonnance ait été rendue publique, le gouvernement a annoncé une réforme similaire du droit de la responsabilité civile, désormais qualifiée légalement d’ «extracontractuelle ». Affaire à suivre…