Retour sur la réforme de la prescription en matière pénale

Avocat avec code pénal LMC Partenaires

La loi n°2017-242 du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale a été promulguée à la suite de longs débats et navettes parlementaires. Portée par les députés TOURRET et FENECH, cette loi a de lourdes conséquences quant à la prescription de l’action publique.

Des délais de prescription doublés

La prescription de l’action publique a été doublée en matière délictuelle et criminelle, passant de 10 à 20 ans pour les crimes et de 3 à 6 ans pour les délits (articles 7 et 8 du Code de procédure pénale).

Un coup d’arrêt à l’imprescriptibilité ?

Des précisions ont été apportées sur le point de départ du délai.

Auparavant, coexistaient deux points de départ de la prescription de l’action publique :

  • Celui légalement prévu par les textes, à savoir au jour de la commission de l’infraction ;
  • Celui issu de la jurisprudence qui reportait le point de départ au jour de l’apparition des infractions occultes ou dissimulées ;

La loi réaffirme le principe posé par les anciens textes, à savoir que le délai de prescription court à compter du jour où l’infraction a été commise.

Elle pose textuellement les exceptions consacrées par la jurisprudence : le report du point de départ de la prescription pour les infractions occultes ou dissimulées à compter du jour où l’infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant la mise en mouvement ou l’exercice de l’action publique.

La loi ne consacre pour autant pas l’imprescriptibilité de fait des crimes et délits occultés ou dissimulés, en posant des délais butoirs au report du point de départ du délai de prescription à la différence de la jurisprudence, à savoir 12 ans pour les délits et 30 ans pour les crimes à compter du jour où l’infraction a été commise.

Contrairement à ce qui a pu être lu dans la presse, ce n’est pas le délai maximal de prescription des délits occultés et dissimulés qui a été réduit. Le législateur a inséré en réalité le report du point de départ du délai de prescription dans deux délais. De ce fait, il est vrai, l’imprescriptibilité de fait résultant de la jurisprudence rendue par la Cour de cassation n’est plus de rigueur.

Les textes posent une définition des infractions visées :

  • L’infraction occulte est définie comme étant celle qui, en raison de ses éléments constitutifs, ne peut être connue ni de la victime ni de l’autorité judiciaire ;
  • L’infraction dissimulée est définie comme étant celle dont l’auteur accomplit délibérément toute manœuvre caractérisée tendant à en empêcher la découverte ;

Malgré ces définitions, aucune infraction n’est nommément désignée par le législateur, même si elles englobent les infractions économiques et financières. Un retour à la case de départ sera dès lors opéré, et la jurisprudence sera de nouveau chargée de déterminer quelle infraction est occulte et dissimulée.

Pour autant, l’imprescriptibilité ne pouvait perdurer. La prescription sert notamment dans notre système juridique à poser une échelle de gravité des infractions. A ce jour, seuls les crimes contre l’humanité sont imprescriptibles.

La loi consacre également un autre principe jurisprudentiel (AP 7 novembre 2014, n°14-83.739), celui de la suspension de la prescription en présence de tout obstacle de droit, prévu par la loi, ou tout obstacle de fait insurmontable qui rend impossible la mise en mouvement ou l’exercice de l’action publique.

Si certains s’insurgent contre une telle réforme qui permettrait aux auteurs d’infractions financières par exemple, d’échapper à la justice, les magistrats s’inquiètent au contraire du manque de moyens mis à leur disposition pour absorber ce nouveau flot potentiel d’affaires. Un risque d’atteinte au droit au procès équitable est également soulevé, en raison de difficultés à enquêter et juger aussi longtemps après les faits ainsi que le risque du dépérissement de la preuve.

Il convient de relever que le texte nouveau n’a été précédé d’aucune étude d’impact…

D’autres ont relevé qu’aucune mesure n’a été adoptée quant à la prescription des crimes sexuels commis sur mineurs, alors qu’un certain nombre de manifestations et pétitions ont égrené le parcours de la loi.

Comme un auteur l’a relevé, en doublant les délais de prescription applicables aux crimes et aux délits, c’est l’ensemble de la hiérarchie des infractions qui est touchée. En effet, les délais de prescription des crimes sexuels commis sur mineur, est de 20 ans à compter de la majorité de la victime. Les infractions à l’encontre des mineurs et des majeurs sont dès lors mises au même rang de gravité. Alors que le droit pénal doit s’apprécier dans son ensemble afin de constituer un tout cohérent, les délais de prescription pour les infractions commis contre des mineurs n’ont pas été abordés.

Dans le cadre d’une affaire médiatique de viol, fin de l’année 2016, une mission a été mise en place par le Ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes afin de se pencher sur la question. On ne peut que regretter que cette réflexion n’ait pas eu lieu plus en amont, et ne soit mise en place qu’à l’aune des affaires médiatiques tendant à générer l’émotion du public. En droit pénal, l’émotion ne peut être à l’origine de nouvelles dispositions légales.

La question de l’application de la loi dans le temps

Un débat existe également  sur l’application de la loi dans temps. En application de l’article 112-2 du Code pénal, « sont applicables immédiatement à la répression des infractions commises avant leur entrée en vigueur : […] lorsque les prescriptions ne sont pas acquises, les lois relatives à la prescription de l’action publique et à la prescription des peines ». De ce fait, la loi du 27 février 2017 serait applicable immédiatement à l’ensemble des infractions non encore prescrites.

Il convient par conséquent dans un premier temps de se placer sous la loi ancienne pour déterminer si la prescription de l’infraction est acquise. Le cas échéant, les nouvelles dispositions applicables en matière de prescription ne pourront s’appliquer.

Une seconde question naît de la définition de la loi ancienne. Peut-on l’étendre à la jurisprudence anciennement rendue par la Cour de cassation ? Pour certains auteurs ce sera le choix opéré par la Haute juridiction. Cela ferait alors échec aux dispositions nouvelles de la loi.

L’article 4 de la loi du 27 février 2017 donne certains éléments de réponse quant à l’application de la loi nouvelle dans le temps :

« la présente loi ne peut avoir pour effet de prescrire des infractions qui, au moment de son entrée en vigueur, avaient valablement donné lieu à la mise en mouvement ou à l’exercice de l’action publique à une date à laquelle en vertu des dispositions législatives alors applicables et conformément à leur interprétation jurisprudentielle, la prescription n’était pas acquise. »

Si les faits ne sont pas prescrits sous l’empire de la loi ancienne, plusieurs hypothèses apparaissent :

  • L’action publique a été mise en mouvement, dans ce cas les délais butoirs ne s’appliqueront pas ;
  • Aucune juridiction pénale (instruction ou jugement) n’a été saisie avant la loi nouvelle dans ce cas :
    • Si les faits n’ont fait l’objet d’aucune mesure interruptive du délai de prescription, alors les délais butoirs s’appliqueront ;
    • Si les faits ont fait l’objet d’une mesure interruptive de prescription, dans ce cas le délai de prescription recommencera à courir et les délais butoirs ne s’appliqueront pas ;

 Cette réforme d’importance soulèvera très certainement de nombreuses interrogations à l’avenir, que ce soit au niveau de son application concrète qu’à celui de sa réelle opportunité.

Tableau récapitulatif des prescriptions en matière pénale

 

Infraction Délai de prescription de l’action publique Point de départ du délai de prescription
Contravention 1 an Jour où l’infraction a été commise
Délit 6 ans Jour où l’infraction a été commise ( !exception infractions clandestines ou occultes)
Délit de traite des êtres humains à l’égard d’un mineur 10 ans Report à la majorité du mineur
Délit de proxénétisme à l’égard d’un mineur 10 ans Report à la majorité du mineur
Recours à la prostitution d’un mineur 10 ans Report à la majorité du mineur
Corruption de mineur 10 ans Report à la majorité du mineur
Proposition sexuelle par un majeur à un mineur de 15 ans 10 ans Report à la majorité du mineur
Consultation de sites pédopornographiques 10 ans Report à la majorité du mineur
Violences sur mineur ayant entraîné une ITT de plus de 8 jours 20 ans Report à la majorité du mineur
Agression sexuelle sur mineur 20 ans Report à la majorité du mineur
Atteinte sexuelle sur mineur 20 ans Report à la majorité du mineur
Délits de terrorisme 20 ans Jour où l’infraction a été commise (!exception infractions clandestines ou occultes
Délits de trafic de stupéfiants 20 ans Jour où l’infraction a été commise (!exception infractions clandestines ou occultes
Crimes 20 ans Jour où l’infraction a été commise (!exception infractions clandestines ou occultes)
Crimes de terrorisme 30 ans Jour où l’infraction a été commise (!exception infractions clandestines ou occultes
Crimes de trafic de stupéfiants 30 ans Jour où l’infraction a été commise (!exception infractions clandestines ou occultes
Eugénisme et clonage reproductif 30 ans Jour de naissance de l’enfant
Crimes de guerre 30 ans Jour où l’infraction a été commise ( !exception infractions clandestines ou occultes
Génocide et crimes contre l’humanité Imprescriptibilité


Sources
 :

  • « La réforme de la prescription pénale : la mise en œuvre et les conséquences inattendues de l’application immédiate de la loi », Dalloz actualité, 20 février 2017.
  • « Prescription de l’action publique des crimes sexuels commis contre les mineurs : le droit face à l’émotion », Dalloz actualité, Audrey Darsonville, 27 janvier 2017.
  • Les délais de prescription en matière pénale vont doubler, Dalloz actualité, Caroline Fleuriot,  17 février 2017
  • Action publique, Réforme de la prescription pénale : nouveaux délais et application de la loi dans le temps, 1er mars 2017