La retranscription : plus qu’un devoir journalistique, une obligation légale

LMC actualité retranscription des journalistes

Par une décision remarquée du 23 juin 2015, la chambre criminelle de la Cour de cassation a confirmé la condamnation d’Edwy Plenel, en sa qualité de directeur de publication du site d’informations Mediapart, et d’un de ses journalistes pour diffamation (Cour de cassation, chambre criminelle, 23 juin 2015, n°13-87811). Plus qu’un énième rebondissement de l’affaire Bettencourt, cet arrêt vient rappeler que la reproduction fidèle des propos recueillis lors d’une interview n’est pas qu’une simple obligation déontologique des journalistes : c’est une véritable obligation légale.

 

 

Un dommage collatéral de l’affaire Bettencourt

 

A l’occasion d’une interview, un journaliste de Mediapart a invité Eva Joly à commenter la diffusion dans la presse d’enregistrements privés entre Liliane Bettencourt et Patrice de Maistre, ancien gestionnaire de sa fortune par le biais de sa société Clymène. Eva Joly a librement consenti à se prononcer sur ce dossier et ne faisait d’ailleurs pas obstacle à ce que son nom soit divulgué.

L’interview fut pour le moins sommaire : un court appel téléphonique non enregistré, le dictaphone du journaliste étant défaillant. Par la suite, un article fut publié sur le site de Mediapart selon lequel Eva Joly confirmait l’implication de Florence Woerth, salariée de la société Clymène et épouse de l’ancien ministre Eric Woerth, dans l’organisation de l’évasion fiscale de Liliane Bettencourt. L’ancienne magistrate a immédiatement démenti ces allégations, affirmant qu’elle n’avait jamais tenu de tels propos.

Incapable de justifier de l’exactitude des paroles rapportées dans son article, le journaliste de Mediapart a été contraint de le modifier en conséquence. Cependant, le journaliste a toujours affirmé être de bonne foi et avoir simplement commis une légère erreur sans aucune intention de nuire à la personne visée par ses écrits. Malgré tout, l’histoire ne s’arrête pas là. En effet, Florence Woerth a décidé de porter plainte contre Edwy Plenel et son journaliste en les accusant de diffamation publique.

A noter : Arnaud Montebourg et le journal l’Express étaient également poursuivis pour les mêmes faits, mais le désistement de Florence Woerth à la suite des excuses publiques de l’ancien ministre a conduit à l’extinction partielle de l’action publique. Bien que ce point fût contesté par Edwy Plenel et son journaliste, la Cour de cassation a justement considéré que le désistement partiel de la partie civile n’entraînait pas une extinction totale de l’action publique.

 

 

La caractérisation de la diffamation publique en cas de retranscription infidèle

 

La question posée à la Cour de cassation était la suivante : une retranscription litigieuse par un journaliste peut-elle être constitutive d’une diffamation publique alors même que l’auteur de cette reproduction se réclame de bonne foi et invoque une simple erreur ? Avant de s’attarder sur la solution choisie par le juge judiciaire, revenons-en d’abord à la définition de la diffamation.

 

Dans son article 29, la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse dispose que :

 

« Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l’identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés.
Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait est une injure. »

 

En l’espèce, l’atteinte à la réputation de Florence Woerth est clairement caractérisée, ce que ne nient d’ailleurs pas les accusés. Ce qu’ils contestent en revanche, c’est la mauvaise foi qui leur est reprochée.

 

Sur le terrain de la diffamation publique, la Cour de cassation a développé une jurisprudence tendant à faire de la bonne foi une exception de nature à écarter la qualification de diffamation. Dans ce cas, la présomption d’intention de nuire, principe en matière de diffamation, peut être repoussée. Or, la bonne foi est précisément définie par la Haute juridiction : le prévenu doit être objectif, prudent, dépourvu d’animosité personnelle envers la victime et poursuivre un but légitime. Ainsi, seule la réunion de ces quatre éléments peut venir justifier un comportement diffamatoire. En l’occurrence, la Cour de cassation refuse de valider l’exception de bonne foi soulevée par les prévenus.

 

Après examen des faits, la Cour de cassation rappelle que la Cour d’appel de Paris avait retenu que :

« le journaliste, qui n’a pas pu justifier de l’exactitude de sa retranscription, et a dû procéder à une rectification ultérieure, a manqué à son devoir de reproduire fidèlement les propos recueillis lors de l’entretien, et ce d’autant plus qu’il devait avoir conscience de leur caractère diffamatoire ».

 

S’appuyant sur ce constat, les juges en viennent à la conclusion que :

« les prévenus n’ont pas satisfait à leur devoir de surveillance et de rigueur dans la diffusion de l’information ».

Par conséquent, la Cour adopte une position stricte en condamnant la légèreté dont a fait preuve le journaliste. Elle consacre ainsi l’obligation pour eux de rapporter fidèlement les propos qui leurs sont tenus et n’hésitent donc pas à mettre en jeu leur responsabilité en cas de défaillance.

 

 

Une sanction symbolique

 

La Cour de cassation a également confirmé le montant de la condamnation d’Edwy Plenel et de son journaliste, condamnés chacun à 250 euros d’amende, avec sursis pour le second. De plus, les intérêts civils dus à titre de dommages et intérêts restent identiques, à savoir la somme de 1 euro symbolique. La faiblesse de ces sommes s’explique par la volonté de la Cour de reconnaître la réalité de la diffamation commise lors de la retranscription, sans pour autant considérer que celle-ci cause à la victime un préjudice substantiel de nature à justifier l’octroi d’une indemnisation plus importante.