Quand les violences conjugales deviennent non constitutives d’un danger

Violences conjugales jugées comme non constitutives d’un danger

La loi n°2010-769 du 9 juillet 2010 a créé un nouveau titre XIV au sein du Code civil, spécifique aux mesures de protection des victimes de violence. L’année 2010, pendant laquelle la lutte contre les violences faites aux femmes a été déclarée comme une grande cause nationale, a été l’occasion pour le législateur d’introduire un nouveau dispositif protecteur des victimes de violences conjugales : l’ordonnance de protection.

Un arrêt récent, rendu le 15 décembre 2016 par la Cour d’appel de Paris (RG n°16/37848), est l’occasion de revenir sur ce dispositif.

 

Ordonnance de protection : qu’est-ce que c’est ?

 

L’article 515-9 du Code civil prévoit :

« Lorsque les violences exercées au sein du couple ou par un ancien conjoint, un ancien partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou un ancien concubin mettent en danger la personne qui en est victime, un ou plusieurs enfants, le juge aux affaires familiales peut délivrer en urgence à cette dernière une ordonnance de protection. »

 

L’article 515-11 du Code civil précise les conditions de délivrance de cette ordonnance :

« L’ordonnance de protection est délivrée, dans les meilleurs délais, par le juge aux affaires familiales, s’il estime, au vu des éléments produits devant lui et contradictoirement débattus, qu’il existe des raisons sérieuses de considérer comme vraisemblables la commission des faits de violence allégués et le danger auquel la victime ou un ou plusieurs enfants sont exposés.[…] »

L’objectif de cette nouvelle mesure est d’assurer la sécurité des victimes de violences, d’organiser les relations matérielles au sein du couple ainsi que les relations avec les enfants. Cette ordonnance devait également permettre aux victimes de faire un premier pas vers une procédure de divorce, le cas échéant.

 

Ordonnance de protection : rendue dans deux contextes différents

 

L’existence de violences au sein d’un couple, y compris de concubins. Peu importe que le couple soit toujours d’actualité ou séparé et que les violences se soient produites avant ou après la séparation ;

L’existence d’une menace de mariage forcé pour des majeurs (les mineurs relèvent en effet du juge des enfants) ;

À l’occasion de sa saisine le juge peut prescrire l’ensemble des mesures suivantes (article 515-11 du Code civil) :

  • Interdiction pour l’auteur des violencesde recevoir ou de rencontrer certaines personnes ;
  • Interdiction de détenir ou de porter une arme ;
  • Déterminer la résidence des époux, en ordonnant la résidence séparée ;
  • Fixer les modalités d’exercice de l’autorité parentale, et la contribution aux charges du mariage ou à l’entretien et à l’éducation des enfants ;
  • Autoriser la dissimulation du domicile de la victime ;

La demande se fait auprès du juge aux affaires familiales par voie de requête ou d’assignation en la forme des référés.

La mesure ne peut dépasser le délai de quatre mois, à compter de la notification de l’ordonnance rendue. Il est toujours possible d’en prolonger les effets jusqu’à une décision portant sur une demande de divorce passée en force de chose jugée, si une telle demande est introduite avant l’expiration du délai de quatre mois.

Cette ordonnance est susceptible d’appel, dans le délai de quinze jours à compter de sa notification.

La violation des mesures ordonnées par l’ordonnance est sanctionnée pénalement, par une amende et une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à deux ans (Articles 227-4-2 et s. du Code pénal).

 

L’existence de violences et de danger : des conditions de délivrance de l’ordonnance

 

L’article 515-9 du Code civil précité, prévoit que deux conditions soient caractérisées.

Ainsi, la victime doit établir par tous moyens l’existence de violences vraisemblables, résultant d’une atteinte à l’intégrité physique ou psychique. Ces violences doivent avoir pour conséquence de mettre en danger l’époux, le partenaire ou le concubin. La circulaire ministérielle du 1er octobre 2010, CIV/13/10, a précisé que « le danger peut résulter par exemple du caractère réitéré mais aussi de la gravité des violences commises ».

Seule la vraisemblance desdites violences est exigée. Les juges du fond sont investis d’un pouvoir souverain d’appréciation des éléments de preuve qui leurs sont présentés.

Les magistrats s’attachent par conséquent à l’examen de la vraisemblance des violences alléguées et leurs conséquences pour la victime.

Dès l’introduction de cette nouvelle mesure en 2010, l’ensemble des intervenants en la matière relevaient la difficile preuve des violences. En effet, ayant lieu dans la majorité des cas dans le huis-clos conjugal, il est extrêmement difficile par la suite de prouver les violences, plus particulièrement si elles sont uniquement psychologiques.

Au regard de la difficile preuve des violences, on aurait pu croire que la constatation de ces violences emportait la caractérisation de la seconde condition posée par le législateur : l’existence d’un danger pour la victime. Il n’en est rien.

 

Violences conjugales

Des violences conjugales constatées : un élément insuffisant pour le juge

 

Une épouse victime de violences physiques avait sollicité une ordonnance de protection à laquelle le juge aux affaires familiales du Tribunal de grande instance de Paris avait fait droit le 18 juillet 2016.

L’époux avait fait appel de cette ordonnance. L’affaire a été portée devant la Cour d’appel de Paris (RG n°16/37848), qui a rendu un arrêt le 15 décembre 2016.

Afin de bien comprendre la portée de cet arrêt il nous semble important d’en citer les motifs :

« Considérant que les faits de violences invoqués en première instance sont décrits dans les procès-verbaux de plainte déposés par Mme B. le 4 avril 2011 et le 21 mai 2016 ; qu’il résulte de ces déclarations que M.D a porté une première fois des coups à Mme B en octobre 2010 à l’occasion d’une dispute sur la prise en charge des enfants à l’occasion d’un voyage en avion, une deuxième fois en avril 2011 à l’occasion d’une dispute à propos d’un pot de fleur et une troisième fois en mai 2016 à propos d’une dispute sur les devoirs des enfants que leur père voulait leur faire faire alors qu’il était dix heures du soir ; que tout en contestant avoir jamais reconnu les faits de violences et en soulignant le contexte de conflit entre les époux sur des questions relatives à l’éducation des enfants, M.D ne nie pas avoir exercé des violences sur son épouse, que le fait que ces violences aient pu être exercées à l’occasion de disputes conjugales ne peut les justifier, quelle qu’ait pu être l’attitude adoptée par l’épouse au cours de ces disputes ; que la vraisemblances des violences invoquées par l’épouse est établie ».

 

À cet instant de la lecture de l’arrêt, la confirmation de l’ordonnance de protection rendue ne fait aucun doute. Et pourtant :

« Considérant en revanche que postérieurement aux premiers faits de violence, la vie commune s’est poursuivie et que Mme B n’a engagé aucune démarche de séparation ; qu’il ressort des déclarations de Mme B aux services de police le 21 mai 2016 qu’aucun changement n’était intervenu dans la vie des époux après la seconde plainte ; que dans cette plainte, Mme B. déclarait que si elle avait du mal à communiquer avec son mari, ce dernier n’était pas méchant et n’avait pas un mauvais fond ; qu’il ressort de ces éléments qu’à la date à laquelle le premier juge a statué, il n’était pas établi que les violences exercées par le mari à l’encontre de son épouse la mettait en situation de danger ; que les conditions de délivrance d’une ordonnance de protection n’étaient donc pas remplies en l’espèce ; que l’ordonnance dont appel est infirmée en toutes ses dispositions ».

 

Malgré le caractère réitéré des violences reconnues, avouées par le mari, ces dernières ne suffisent pas à établir le danger encouru par l’épouse victime.

Les juges se fondent sur les allégations de Mme B dans sa dernière plainte, présentant son mari comme n’ayant pas « un mauvais fond ». Autre élément retenu, l’absence de changement dans la vie des époux après la seconde plainte. Cet argument nous semble pourtant inopérant, étant donné que l’épouse avait introduit une demande d’ordonnance de protection afin d’être protégée.

La Cour d’appel de Paris se montre ici extrêmement rigide. On ne peut que douter de la validité du raisonnement adopté par les juges au regard de la circulaire de 2010 précitée, qui énonçait que le danger pouvait être caractérisé en cas de violences réitérées.

Un pourvoi en cassation sera peut être formé à l’encontre de cette décision. Pour autant, il n’est pas certain que la Cour de cassation la censure. Elle se retranchera très probablement derrière le pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond.

Au regard de la jurisprudence rendue en la matière, cette décision détonne quelque peu. Les ordonnances de protection sont le plus souvent infirmées ou refusées, lorsque les faits de violences ne sont pas vraisemblables. (Rennes, 7 juillet 2015, RG n°15-01087 ; Rouen, 26 mai 2016, RG n°16/00188).

Cette sévérité de la Cour d’appel de Paris n’est pas sans faire écho, toutes proportions gardées, aux très récentes modifications subies par le droit pénal russe : la dépénalisation des violences domestiques, tant qu’elles n’ont pas causé de séquelles trop importantes.