Cadres – Heures supplémentaires : vers une preuve impossible ?

Cadres et heures supplémentaires

Cadres – heures supplémentaires : vers une preuve impossible ?

Si la plupart des Cadres se voient aujourd’hui appliquer des clauses des forfaits jours, il n’est pas rare que la validité de ces clauses soit attaquée au motif, par exemple, que les amplitudes de travail n’auraient pas été contrôlées. Se pose alors la preuve des heures supplémentaires éventuellement réalisées par le salarié.

La règle est que la charge de la preuve des heures de travail est partagée. Ainsi, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié d’étayer sa demande par la production d’éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés pour permettre à l’employeur de répondre en fournissant ses propres éléments (Cass. soc., 24 novembre 2010, n° 09-40.928).

La preuve incombe ainsi en premier au salarié, lequel doit donner les éléments venant au soutien de sa prétention, qui seront soumis à la contradiction des éléments de preuve de l’employeur. Le Conseil contrôle ce prérequis et avant même d’examiner les éléments de l’employeur, s’assure que la demande du salarié présente certaines garanties de sérieux.

Ainsi, dans une affaire où le temps de travail était décompté à l’origine sur la base d’un forfait annuel en jours, le Conseil de Prud’hommes de ROUEN, le 26 janvier 2016 (n° RG 15/00059)*, a stigmatisé l’absence de décompte précis du salarié qui souhaitait se voir réglé d’heures supplémentaires, après avoir obtenu préalablement l’inopposabilité de la clause de forfait. Le salarié a été débouté de sa demande.

Dans un jugement le 11 février 2016 (n° RG  15/00032)*, le Conseil de Prud’hommes de CAEN a débouté le salarié de sa demande en raison du caractère imprécis du décompte, qui n’était détaillé ni par semaine ni par mois. Le Conseil a reproché le manque d’attestation/document professionnels prouvant l’amplitude horaire de travail. Le temps de travail du salarié était décompté sur la base d’un forfait annuel en heures.

Mais il apparaît qu’un décompte détaillé et cohérent présenté par le salarié ne suffit plus aujourd’hui.

En effet, la preuve des heures de travail semble de plus en plus difficile à faire pour le salarié, à mesure que les Conseils de Prud’hommes se font à l’idée que les Cadres organisent leur temps de travail comme ils le souhaitent.

L’usage des moyens de communication à distance, s’ils contribuent à étendre les plages de disponibilités des Cadres, constituent un moyen de défense efficace des employeurs pour contester la réalité des heures réalisées. Contrairement à ce que les salariés peuvent imaginer, ils ne permettent nullement de tracer efficacement leur activité.

L’employeur se retrouve même dans une position extrêmement confortable, à ne même plus devoir préciser le temps de travail de son salarié (puisque celui-ci a toute latitude pour le déterminer), à n’être plus qu’en défense, en se contentant de critiquer les prétentions de son (ancien) salarié et à discréditer ses décomptes.

Plusieurs décisions récentes viennent confirmer cet état de fait.

Dans un jugement rendu par le Conseil de Prud’hommes de VERSAILLES le 25 avril 2016 (RG 13/00962)*, la réalité des heures de travail n’a pas été retenue. Le Conseil a estimé que la salariée bénéficiait de par sa classification d’une large autonomie, étant évaluée par l’écart entre ses objectifs et leurs réalisations.

La salariée avait pourtant apporté au soutien de ses décomptes :

  • des attestations de personnes l’ayant vu travailler tard le soir,
  • des courriels en quantité, quasi journaliers, démontrant des envois tardifs,
  • un tableau de décompte, jour après jour, des horaires de travail,
  • une situation d’épuisement constatée par son Médecin traitant.

La partie adverse a mis en avant quant à elle :

  • l’absence de demande par l’employeur de réalisation d’heures supplémentaires,
  • le fait que la salariée travaillait sur un ordinateur portable, qu’elle ramenait le soir à son domicile,
  • la possibilité qu’il y a de paramétrer son ordinateur pour programmer l’envoi de ses courriels, à l’heure souhaitée.

Sans que l’employeur ne fournisse le moindre décompte des heures de travail, le Conseil lui a donné gain de cause, en déboutant son ancienne salariée de ses demandes de rappel de salaire, contreparties obligatoires en repos.

Dans un autre jugement, du Conseil de Prud’hommes de PONTOISE, rendu le 12 janvier 2017 (n° RG 16/00010) *, le salarié s’est lui aussi vu débouté de sa demande de rappel de salaire, au motif que  « les échanges de courriers électroniques ne sont pas de nature suffisante pour matérialiser l’existence de la réalisation d’heures supplémentaires, d’autant lorsqu’ils ne sont pas suivis de réponses immédiates ; qu’ils ne sont pas de nature à permettre au juge du contrat de travail de vérifier si l’employeur avait implicitement donné son accord ou pas pour que le travail s’exécute ainsi ».

Le salarié avait pourtant apporté les éléments suivants :

  • Procès-Verbal d’Huissier relatifs aux courriels présents sur la boîte mail professionnelle,
  • Tableau exhaustif de décompte des jours et des heures travaillés.

Le salarié avait même demandé la communication du journal de connexion à distance sur le serveur de la société, ce que cette dernière n’avait pas fourni.

La société, sans pouvoir encore fournir de décompte des heures réellement effectuées par son salarié, s’était contentée de :

  • pointer les erreurs du tableau, afin décrédibiliser le décompte,
  • démontrer la parfaite autonomie du salarié dans l’organisation de son temps de travail,
  • faire valoir que l’envoi d’un courriel à une heure tardive ne suffit pas à démontrer que le salarié a travaillé jusqu’à cette heure-là, se tenant à disposition de la société.

En  conséquence, l’autonomie bien reconnue des Cadres, amplifiée par les techniques de communication à distance, doivent rendre l’employeur plus serein face au risque de demandes de rappel de salaire sur heures supplémentaires, et ce d’autant plus qu’il est extrêmement rare que ceux-ci se manifestent en cours d’exécution du contrat pour s’en plaindre et en obtenir le paiement.

 

* jugement frappé d’appel

 

Jugement du Conseil de Prud’hommes de CAEN du 11 février 2016

Jugement du Conseil de Prud’hommes de ROUEN du 26 janvier 2016

Jugement du Conseil de Prud’hommes de VERSAILLES du 25 avril 2016

Jugement Conseil de Prud’hommes de CERGY-PONTOISE du 12 janvier 2017