Les conditions de la femme en milieu carcéral : abandon du principe de parité

Les conditions de la femme en milieu carcéral : abandon du principe de parité

Dans un avis en date du 25 janvier 2016, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) Adeline Hazan tire la sonnette d’alarme sur les conditions déplorables de prise en charge des femmes par les institutions judiciaires et pénitentiaires.

Autorité administrative indépendante, la CGLPL a pour mission de veiller au respect des droits fondamentaux des citoyens dans les lieux de privation de liberté. Comme tout individu, les personnes privées de liberté ont le droit d’être traitées avec humanité et dans le respect de leur dignité, un principe qui fait aujourd’hui figure d’utopie au regard des innombrables rapports sur les conditions de détention et les condamnations multiples de l’Etat à ce titre. Au cœur de ces problématiques, l’intervention de Madame Hazan a le mérite de mettre en lumière une situation trop souvent éludée : la condition des femmes détenues.

Ultra-minoritaires, représentant seulement 3,2% de la population carcérale, les femmes n’en subissent pas moins une rupture d’égalité criante. Madame Hazan dénonce ainsi les nombreuses discriminations dont elles font l’objet au sein des établissements pénitentiaires et des centres de rétention, mais également dans les commissariats et les établissements de santé.

 

 

Le maintien des liens familiaux, ou comment transformer un droit en parcours du combattant

 

Présenté par le ministère de la justice comme une « condition fondamentale » de la réinsertion et de prévention de la récidive des personnes incarcérées, le maintien des liens familiaux est un droit trop souvent illusoire.

Sur 188 établissements pénitentiaires en France, seuls 56 sont habilités à recevoir des femmes et 2 seulement leur sont réservés, à Fleury-Mérogis et Rennes. Or, le maillage territorial de ces établissements est très fortement déséquilibré en faveur des régions du nord. Par conséquent, une grande majorité de femmes subissent un éloignement géographique de leur proches, parfois très important. Force est de constater que cette double-peine, implicite mais bien réelle, est automatique dans le Sud-Est de la France. En effet, la région PACA est dépourvue d’établissement pénitentiaire susceptible d’accueillir des femmes, d’où la recommandation d’Adeline Hazan d’ouvrir un tel centre de détention spécialisée dans cette région.

 

 

Le manque chronique de moyens, source d’une discrimination permanente

 

Madame Hazan note que « les locaux réservés aux femmes sont souvent plus réduits que ceux des hommes, les intervenants moins nombreux et les équipements plus sommaires », précisant de plus que « les hommes ont accès à des activités professionnelles de production, pratiquent le sport en extérieur tandis que les femmes ne peuvent souvent que travailler au service général: cuisine, buanderie, entretien des locaux ».

Fièrement consacré par l’article premier de notre constitution en ce qui concerne les mandats électoraux, fonctions électives, responsabilités professionnelles et sociales, le principe de parité paraît jeté aux oubliettes sitôt le seuil d’un établissement pénitentiaire franchi. Les conditions de détention des hommes sont aujourd’hui bien meilleures que celles des femmes, tant en ce qui concerne les locaux qui leur sont alloués que les activités à leur disposition. S’il est évident que cette situation relève davantage d’un manque de moyens que d’une volonté de discriminer les femmes, le résultat est malheureusement identique et il n’en est pas plus acceptable.

 

 

L’introduction d’une dose de mixité en prison, une solution envisageable ?

 

Afin de réduire les inégalités persistantes entre les hommes et les femmes placés sous-main de justice, Adeline Hazan préconise d’introduire une dose de mixité dans les établissements pénitentiaires. A l’heure actuelle, les limitations imposées aux femmes incarcérées sont largement dues à l’interdiction absolue qui leur est faîte de côtoyer des détenus masculins. Permettre l’exercice d’activités communes serait donc un moyen de rétablir une égalité de traitement à moindre frais, tout en préparant les individus à se réinsérer dans une société dans laquelle aucune cloison ne vient séparer les deux sexes.

Cependant, ce type de proposition est accueilli avec la plus grande réserve par les personnels des établissements pénitentiaires qui craignent les conséquences que peuvent générer une promiscuité entre hommes et femmes. Néanmoins, il est tout à fait surprenant de constater les réticences de ces administrations de voir des adultes de sexes différents se trouver en présence l’un de l’autre, alors que dans le même temps une grande partie des jeunes filles mineures incarcérées sont contraintes de partager les quartiers des femmes majeures sans que cela ne génère de contestations particulières…

En outre, la mixité modérée en milieu carcéral a déjà été expérimentée à Bordeaux-Gradignan et les résultats semblent plutôt positifs, malgré les craintes exprimées par le personnel de l’établissement avant la mise en place de la mesure.

 

 

Une adaptation nécessaire des conditions de détention

 

La demande d’égalité formulée par Madame Hazan s’accompagne aussi d’une requête tendant à faire reconnaître la nécessaire adaptation des conditions de détention des femmes. Dans son avis, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté multiplie les exemples de situations difficilement tolérables pour les détenues : accouchement en présence de gardiens, menottes obligatoires lors d’examens gynécologiques, retrait systématique du soutien-gorge sous prétexte d’un risque de pendaison… autant d’illustrations qui viennent témoigner d’un principe de précaution poussé jusqu’à l’absurde, sans aucune prise en compte de la réalité des risques invoqués. Sans aller jusqu’à demander un traitement intégralement différencié, il est indispensable de reconnaître que l’incarcération de détenues féminines doit aller de pair avec une certaine adaptation des conditions dans lesquelles elle se fait.

S’il est pertinent et légitime, l’avis du 25 janvier 2016 n’en est pas moins dénué de toute force obligatoire. A elle seule, une autorité administrative indépendante ne dispose pas des moyens nécessaires à la concrétisation des changements qu’elle réclame, aussi impératif soient-ils. Les conditions de détention sont d’autant plus éloignées de l’agenda politique et médiatique que l’opinion publique tend à percevoir toute tentative d’amélioration de la situation en milieu carcéral comme un aveu de laxisme, insupportable en temps de disette budgétaire. Pourtant, le constat de Madame Hazan n’en est pas moins dramatique.

Comme l’affirmaient déjà Albert Camus et Fiodor Dostoïevski, le degré de civilisation d’une société se juge à l’état de ses prisons. Or, c’est un bien triste tableau des conditions de détention des femmes qui est aujourd’hui dressé. Reste à savoir si les responsables politiques entendront l’appel d’Adeline Hazan et, plus encore, s’ils auront le courage d’y répondre.