Divorce par consentement mutuel sans juge : une bonne idée ?

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Le divorce des chiffres qui marquent.

 

Tel est apparemment le constat de Jean-Jacques Urvoas, qui se plaît visiblement à rappeler que, en 2014, 54 % des 123 500 divorces prononcés en 2014 l’ont été par consentement mutuel. Usant d’une rhétorique simple mais efficace, le ministre de la justice répète à l’envie que, dans 99% des cas, les juges aux affaires familiales homologuent les conventions rédigées par le ou les avocat(s) des futurs ex-époux.

Partant de cette observation, la chancellerie en a profité pour relancer un projet de réforme, déjà envisagé par Christiane Taubira (et bien d’autres avant elle). Véritable arlésienne du droit de la famille, l’idée d’exclure le juge des divorces par consentement mutuel a déjà été avancée cinq fois depuis 1997. Ce projet est donc loin d’être aussi révolutionnaire que le prétend le garde des sceaux et suscite moins l’unanimité qu’il ne veut bien l’admettre.

A ce titre, il est significatif de constater que cette évolution, aujourd’hui présentée comme une figure de proue de la « Justice du XXIe siècle », a été introduite… par le biais d’un simple amendement, déposé en catimini le 30 avril 2016. Le choix du gouvernement de remettre cette idée sur le devant de la scène en passant par les coulisses s’explique aisément. Bien qu’il s’en défende, il a bien conscience qu’il ne s’agit là que d’une énième itération d’un projet déjà maintes fois rejeté. En est-il mauvais pour autant ? Non. D’autant plus que le mécanisme retenu par le gouvernement diffère des précédents. Est-ce à dire qu’il est bon ? Encore faudrait-il que les présupposés sur lesquels il repose soient exact. C’est ce que nous allons nous attacher à vérifier ensemble.

Alors, les juges sont-ils inutiles en matière de divorce par consentement mutuel ? Est-ce bien l’unique moyen de mettre fin à l’engorgement chronique des tribunaux ? Les époux souhaitant divorcer peuvent-ils réellement envisager un gain de temps et d’argent si cet amendement venait à acquérir force de loi ? Les résistances des magistrats, avocats, associations de parents et bien d’autres ne sont-elles que les témoins de corporatismes conservateurs et mortifères ? Rien n’est moins sûr.

 

Le notaire, un juge bis ?

 

Refrain du ministère de la Justice depuis le dépôt de son amendement devant la commission des lois de l’Assemblée Nationale, l’idée selon laquelle un divorce par consentement mutuel impliquerait l’absence de tout litige est foncièrement inexacte. N’importe quel professionnel du droit vous le dira et, gageons-le, une bonne partie des justiciables divorcés par consentement mutuel. Si ce mode de séparation est privilégié par la majorité des aspirants au célibat, c’est davantage du fait de son coût moindre et de sa rapidité, en comparaison des autres modes de divorce, que du fait d’une relation pacifiée avec leur futur ex-conjoint. Avoir foi en la connaissance du terrain que peut avoir notre ministre de la Justice, ce qu’on ne lui refusera pas dans ces lignes, revient donc à dire qu’il pêche sans doute plus par démagogie qu’angélisme. Quel meilleur argument en faveur d’une exfiltration du juge aux affaires familiales d’une partie des procédures que sa prétendue inutilité au sein de celles-ci ?

Néanmoins, la réalité est toute autre. Malgré les astuces langagières de la chancellerie, force est de constater que le divorce par consentement mutuel est bien souvent le théâtre d’une lutte, certes partiellement invisible au juge, mais bien réelle. Sauf en cas de rares exceptions, le divorce entièrement pacifié reste une utopie, même dans le cadre de cette procédure voulue apaisée.

Ainsi, minimiser le rôle du juge est tout sauf anodin. Il est parfois le seul acteur impartial de la procédure. Même lorsque les parties n’ont qu’un avocat, la convention qu’il rédige n’est pas nécessairement équilibrée car il n’a pas à intervenir dans les négociations de ses clients ; au contraire du juge qui reçoit les deux futurs ex-époux lors d’entretiens personnels. S’il est vrai que les juges aux affaires familiales homologuent presque toutes les conventions de divorce qui leur sont présentées par les parties, c’est également parce que leurs avocats se cantonnent à des accords qu’ils savent acceptables par ces magistrats. Sans ce garde-fou, dire que l’équilibre des conventions est en péril relève de l’euphémisme.

En effet, l’amendement gouvernemental substitue aux conventions classiques un acte « sous signature privée » contresigné par les deux avocats et enregistré par un notaire, et non pas homologué par un juge. Au-delà de la privatisation de la justice que cela implique, ce qui est en soi dramatique, la question de la responsabilité ne manque pas de se poser. La réponse est ubuesque : personne ! La responsabilité du notaire est expressément exclue (à se demander pourquoi un notaire plutôt qu’un simple officier d’état-civil) et les avocats ne sont tenus qu’à un classique devoir de conseil envers leurs clients (rien de nouveau sous le soleil).

Pour un tarif réglementé, les notaires vont donc jouer le rôle de caisse enregistreuse. Car oui, c’est bien de cela qu’il s’agit, étant précisé que le notaire se bornera à « constater » le divorce. Or, on ne constate que ce qui est déjà. De la même manière que la Déclaration des droits de l’Homme de 1789 ne fait que déclarer des droits intrinsèques aux individus, le notaire « constatera » un divorce qui… préexiste ? S’il est probable que le divorce ne sera acquis qu’une fois que le notaire aura déposé l’acte au rang de ses minutes, les approximations juridiques dont le projet est entaché sont effrayantes.

Outre le caractère de la tâche qui leur est attribuée, la somme de cinquante euros par acte qui leur sera allouée (bien loin des tarifs qu’ils pratiquent habituellement) garantie un traitement expéditif des actes en divorce qui leur seront soumis. Vous pensiez que les juges regardaient les conventions de divorce d’un œil distrait ? Attendez de voir le sort que leur réserve les notaires !

Devenue une simple formalité administrative, le divorce par consentement mutuel va malheureusement quitter le bureau du juge pour mieux y entrer par la suite. Nul doute que nombre d’accords déséquilibrés finiront devant les juges aux affaires familiales car, si le divorce se « conventionnalise », le contentieux subséquent reste heureusement l’apanage des tribunaux.

A ceci, les rédacteurs du projet m’objecteraient que, dans leur infinie sagesse, s’ils ont prévu un délai de réflexion de 15 jours préalablement à la signature de la convention de divorce qu’une fois celle-ci rédigée. Renoncer à la rupture du lien matrimonial à la dernière minute, comme on renoncerait à l’achat d’un téléviseur dernier cri mais hors-budget, ça c’est une idée ! Reste une question qui me taraude : à quand l’entrée du divorce dans le code de la consommation ?

Vous l’aurez compris : penser que les notaires, victimes collatérales du projet, remplaceront efficacement les juges est au mieux illusoire, au pire mensonger.

 

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La marginalisation de l’intérêt « supérieur » de l’enfant

 

Quel que soit le type de divorce, il est un principe directeur qui doit guider toutes les procédures chaque fois que l’union concernée a donné une descendance aux époux. Ce principe, c’est celui de l’intérêt supérieur de l’enfant. Or, le législateur semble bien décidé à en faire abstraction et paraît n’y faire référence que parce qu’il n’a pas (encore ?) réussi à trouver le moyen de faire autrement.

A la lecture de l’amendement, on remarque que le « nouveau » divorce par consentement mutuel devant notaire cédera sa place à « l’antique » divorce devant le juge lorsqu’un enfant exprimera le souhait d’être entendu. Me serais-je trompé ? Le gouvernement aurait-il reconnu l’intérêt supérieur de l’enfant à sa juste valeur ? En partie seulement et, il semblerait, à contrecœur. De son propre aveu, la mention de cette possibilité a été avant tout dictée par le souci de « respecter les engagements internationaux de la France », l’intérêt supérieur de l’enfant n’étant rappelé qu’ensuite, comme un vulgaire détail.

Faisant fi des pressions que subiront immanquablement les enfants, dans un sens ou dans l’autre, selon que l’un des époux voudra ou non passer devant un juge, le ministère de la Justice les a placé au centre d’une procédure dont ils devraient théoriquement être préservés… Outre ce risque d’instrumentalisation, il est surprenant de constater qu’aucune précision sur les modalités de communication du vœu de l’enfant ne soit apportée par le texte.

En ce qui concerne les majeurs protégés (sous tutelle ou curatelle), l’amendement prend la peine de chercher à introduire un nouvel article dans le Code civil disposant que ce nouveau divorce par consentement mutuel leur sera fermé, ce alors même que l’article 249-4 du Code civil dispose déjà que « lorsque l’un des époux se trouve placé sous l’un des régimes de protection prévus au chapitre II du titre XI du présent livre, aucune demande en divorce par consentement mutuel ou pour acceptation du principe de la rupture du mariage ne peut être présentée ». Inflation législative inutile, quand tu nous tiens…

 

Pas d’économie en perspective pour les justiciables

 

Pour ce qui est des économies promises, les justiciables repasseront. Le divorce par consentement mutuel « classique » laissait aux époux la possibilité de ne choisir qu’un seul avocat et de régler l’ensemble de leurs différends dans l’intimité. Au regard des risques flagrants de déséquilibre en l’absence de juge, cette solution a été écartée et les deux parties sont tenues de confier la défense de leurs intérêts à un avocat distinct, sans que l’équilibre de la convention ne soit pour autant garantie. De plus, les frais de notaire susmentionnés viendront s’ajouter aux frais d’avocat alors que le juge, effectuant une mission de service public, était justement rémunéré par le contribuable.

Cependant, il convient de souligner que, oui, les délais de divorce seront probablement plus rapides, même si cela restera subordonné à l’agenda des notaires.

Pour faire justice au ministre qui en a la charge, il paraît opportun de rappeler que les ambitions affichées par la chancellerie sont louables. Critiquer une fin et ses moyens sont deux choses bien distinctes, et c’est bien de la seconde option dont il est ici question. Désengorger les tribunaux est un objectif nécessaire et il est appréciable que le ministère se soit saisi du problème. Le diagnostic de Jean-Jacques Urvoas d’une Justice « sinistrée » est bon. Il est vrai que les délais d’attentes sont trop long et les juges aux affaires familiales surchargés, contraint de faire toujours plus « de chiffre ».

Cependant, les modalités d’application concrètes de cette réforme sont décevantes. Au lieu de privatiser la justice par l’intermédiaire de textes mal conçus, pourquoi ne pas simplement donner aux magistrats les moyens d’accomplir leur travail ? Mais ne rêvons pas trop, il y a bien (trop) longtemps que les réformes impulsées par la place Vendôme sont conditionnées à l’aval de Bercy.