Le droit à la déconnexion à l’ère de la surconnexion

droit à la déconnexion

Surinformation, hyperconnexion, « infobésité »[1] autant de termes pour désigner une réalité unique : le numérique a envahi la sphère professionnelle. Les pouvoirs publics ont fait le lien entre l’utilisation des technologies de l’information et de la communication et les situations de stress au travail, comme la dépression ou pire le harcèlement moral constatées dans une sphère professionnelle.

En raison de la mobilité que permet le numérique via différents outils : tablettes, smartphones, ordinateurs… la frontière entre sphère professionnelle et sphère privée est devenue poreuse. À l’ère de l’immédiateté et du tout digital, le législateur a tenté de faire barrage à cette pollution de la vie personnelle par le numérique avec la loi n°2016-1088 du 8 août 2016 dite loi travail ou loi EL KHOMRI.

Nous n’entrerons pas dans de longs développements quant aux raisons voire à la justification de cette nouvelle revendication d’un droit à la déconnexion.

Une brève présentation de la genèse de l’introduction d’un droit à la déconnexion dans le dispositif législatif actuel précédera un exposé concret des nouvelles mesures entrées en vigueur au 1er janvier 2017.

 

Un droit à la déconnexion : une volonté des deux parties

 

L’accord national interprofessionnel (ANI) du 19 juin 2013, portant sur la qualité de vie au travail avait déjà proposé aux entreprises de mettre en œuvre des actions de formation sur le bon usage des technologies de l’information et de la communication.

En septembre 2015, un rapport a été réalisé par Monsieur Bruno METTLING, à l’attention de Madame Myriam EL KHOMRI, Ministre du Travail, intitulé : « Transformation numérique et vie au travail »

Cette étude concluait en substance à la nécessité d’instaurer une possibilité pour les salariés de se déconnecter à leur domicile. Pour autant il ne faisait pas peser la responsabilité de ce nouveau droit sur le seul salarié. En effet, le rapport concluait entre autres que « le droit à la déconnexion est donc bien une coresponsabilité du salarié et de l’employeur qui implique également un devoir de déconnexion. »

La nécessité de protéger les salariés de pratiques managériales jugées inadéquates pour leur santé et leur sécurité a conduit le législateur à insérer un article 55 dans la loi précitée du 8 août 2016.

Nulle mesure véritablement coercitive n’a été adoptée par le législateur, ni véritables instructions quant à la mise en œuvre concrète de ce droit à la déconnexion.

L’article L2242-8 du Code du travail a été modifié, la loi nouvelle étendant le domaine de la négociation annuelle sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et la qualité de vie au travail, posé par l’article L2242-8 du Code du travail, à un nouveau thème :

 

« Les modalités du plein exercice par le salarié de son droit à la déconnexion et la mise en place par l’entreprise de dispositifs de régulation de l’utilisation des outils numériques, en vue d’assurer le respect des temps de repos et de congé ainsi que de la vie personnelle et familiale. [..]»

 

Droit à la déconnexion : la mise en place d’une charte par l’employeur

 

Il est précisé qu’en l’absence d’accord, l’employeur devra rédiger une charte, après avis du comité d’entreprise, à défaut des délégués du personnel. La charte, véritable outil pédagogique, devra définir les modalités de l’exercice du droit à la déconnexion, ainsi que prévoir la mise en œuvre « d’actions de formation et de sensibilisation à un usage raisonnable des outils numériques ». Il est étonnant que le CHSCT n’ait pas été lié à l’élaboration de cette charte.

Aucune sanction n’est prévue à défaut de charte.  Pour autant, nul doute qu’elle sera sanctionnée et prise en considération au regard de l’obligation générale de sécurité de l’employeur, qui résulte de l’article L4121-1 du Code du travail.

Il est possible de s’interroger sur l’intérêt de cette nouvelle mesure. En effet, la négociation annuelle obligatoire portait déjà sur « l’articulation entre la vie personnelle et la vie professionnelle pour les salariés ». Le droit à la déconnexion, ne semble dès lors pas être un réel nouveau thème de négociation, mais plutôt s’insérer dans ce sujet de négociation préexistant.

Reste à savoir comment va se matérialiser ce droit à la déconnexion. Certains employeurs n’ont pas attendu l’entrée en vigueur de la loi pour mettre en place des mesures permettant aux salariés d’exercer leur droit à la déconnexion.

 

Droit de déconnexion : quelques exemples

 

Les mesures adoptées par les groupes sont multiples : interdiction d’envoyer des mails à compter d’une certaine heure ou le week-end (RENAULT, AREVA), mise en place de temps de déconnexion pendant le temps de travail (ORANGE, SOLVAY) , suppression des mails reçus par un salarié absent avec message d’avertissement à l’émetteur (DAIMLER), voire la fermeture des serveurs le soir et le week-end (VOLKSWAGEN).

A défaut d’instruction claire donnée par le législateur, les employeurs devront se montrer inventifs en la matière.

[1] « Grande accélération et droit à la déconnexion », Jean-Emmanuel Ray, Dalloz Droit social 2016, p.912