Grâce à Dieu un film entre liberté d’expression et présomption d’innocence

 

 

 

 

 

Intérêts économiques du monde du cinéma contre présomption d’innocence : le libéralisme gagne.

 

« Grace à Dieu », le nouveau long-métrage de François Ozon qui s’intéresse au silence qui entoure les actes pédophiles dans l’Eglise catholique est bien sorti dans les salles obscures le mercredi 18 février 2019.

 

Ce film retrace la naissance et le combat de la « Parole libérée », association fondée à Lyon en 2015 par d’anciens scouts de Sainte-Foy-Lès-Lyon accusant le prêtre Bernard Preynat d’avoir abusé d’eux lorsqu’ils étaient mineurs.

 

Contrairement aux victimes des agissements du père Preynat qui sont désignées sous des patronymes d’emprunt, le prêtre ainsi que Régine Maire, ex bénévole du diocèse de Lyon, accusée de ne pas avoir dénoncé de nombreuses atteintes sexuelles sur des mineurs, apparaissent sous leur véritable identité.

Il convient de souligner que Régine Marie tout comme Bernard Preynat bien que mis en examen depuis 2016 n’avaient toujours pas été jugés au 18 février 2019, et avaient saisi en référé les TGI de Paris et de Lyon afin de faire valoir la violation de leur présomption d’innocence par l’utilisation de leur patronyme dans le film.  

Régine Maire, dont la relaxe avait été requise par le Parquet, a bel et bien été relaxée des accusations portées à son encontre par jugement rendu le 7 mars par le tribunal correctionnel de Lyon. Son avocat avait donc demandé au TGI de Lyon de suspendre la sortie du film sur les grands écrans, prévue le 18 février, jusqu’à l’intervention de la décision de justice sur sa culpabilité, au nom de la présomption d’innocence. De surcroit, le réalisateur François Ozon a été mis en demeure de retirer du film la mention du patronyme de Régine Maire, dénonçant une atteinte grave aux droits de la personne et à la présomption d’innocence de sa cliente.

L’avocat du père Bernard Preynat a également saisi le juge des référés du TGI de Paris juste avant la sortie officielle du long métrage de François Ozon dans le but d’obtenir son report après le 7 mars, date du prononcé de son jugement par le Tribunal Correctionnel de Lyon, arguant que ce film établissait la culpabilité de son client avant même qu’il ne soit jugé et le chargeait de toutes les accusations dont il faisait l’objet alors qu’il contestait avoir commis certains des faits qui lui étaient reprochés. L’avocat du père Preynat clame que « ce n’est que dans les tribunaux que la Justice se rend, et non dans les salles de cinéma ». Il a également demandé la suppression du patronyme de son client du film.

Les deux parties ont été déboutées de l’intégralité de leurs demandes. Les deux ordonnances se fondent sur le même raisonnement : la mise en balance entre le respect du principe de la présomption d’innocence, celui de la liberté d’expression et des enjeux économiques et financiers pour les producteurs du long-métrage en cas de report de la sortie de celui-ci. 

 

En effet, il a été retenu que le report du film de François Ozon « porterait une atteinte grave et très disproportionnée au principe de la liberté d’expression et à la liberté de création, un tel décalage aboutissant, de fait, à une impossibilité d’exploiter le film, œuvre de l’esprit ; cela créerait aussi des conditions économiques d’exploitation non supportables ».

 

Ainsi les magistrats, ont d’une part, fait primer la liberté d’expression dont découle la liberté artistique et créatrice du réalisateur sur les principes fondateurs du droit à un procès équitable, notamment la présomption d’innocence.

 

Ils ont ainsi fait valoir que le changement de patronyme n’empêcherait nullement l’identification évidente des protagonistes,étant précisé que  le film affichait plusieurs encarts, protégeant selon eux la présomption d’innocence.

Il est mentionné au début du film que « ce film est une fiction basée sur des faits réels », ce qui au demeurant enfonce un peu plus le clou sur la culpabilité du père Bernard Preynat et de Régine Maire, et en fin de film il est indiqué que : « Le père Preynat est présumé innocent jusqu'à son procès » ;

« Le jugement sera rendu le 7 mars 2019. Ils sont présumés innocents. Le 3 août 2018, la prescription est passée de vingt à trente ans dès la majorité des victimes ».

En outre, les magistrats ont pris en considération pour débouter Bernard Preynat et Régine Maire de leurs prétentions, les enjeux financiers et notamment les conséquences économiques qu’aurait engendrées le retardement de la sortie du film de François Ozon. Il semble, à la lecture de cette décision que les aspects médiatiques et économiques priment sur l’un des droits les plus fondamentaux de l’homme consacré par la Constitution Française.

 

Dès lors la présomption d’innocence se trouve bafouée au profit d’une surenchère médiatique et financière, condamnant sans nuance deux personnes hors des prétoires, ce qui pourrait constituer un virage dans le traitement judiciaire, marquant le déclin des droits de la défense faisant passer la présomption d’innocence à la présomption de culpabilité.

 

Rappelons que la présomption d’innocence est un principe à valeur constitutionnelle. Il est l’un des principes les plus importants de la procédure pénale et plus particulièrement des droits de la défense. Il est énoncé à l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 « Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi » ;

 

Le principe de la présomption d’innocence est également énoncé à l’article 6.2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales « Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie » ;

 

Il est également affirmé dans l’article 11 de la Déclaration Universelle des droits de l’homme de 1948 de l’ONU  "Toute personne accusée d'un acte délictueux est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d'un procès public où toutes les garanties nécessaires à sa défense lui auront été assurées".

Nul ne sera condamné pour des actions ou omissions qui, au moment où elles ont été commises, ne constituaient pas un acte délictueux d'après le droit national ou international. De même, il ne sera infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'acte délictueux a été commis » ;

 

Au niveau national, ce principe est également visé dans le code civil et rappelé dans le code pénal avec le délit de diffamation défini par l’article 35 ter I de la Loi sur la Liberté de la Presse du 29 juillet 1881 qui dispose que : «Lorsqu'elle est réalisée sans l'accord de l'intéressé, la diffusion, par quelque moyen que ce soit et quel qu'en soit le support, de l'image d'une personne identifiée ou identifiable mise en cause à l'occasion d'une procédure pénale mais n'ayant pas fait l'objet d'un jugement de condamnation et faisant apparaître, soit que cette personne porte des menottes ou entraves, soit qu'elle est placée en détention provisoire, est punie de 15 000 euros d'amende ».

Selon ce principe, toute personne est considérée comme innocente des faits qui lui sont reprochés tant qu’elle n’a pas été déclarée coupable par la juridiction compétente. 

Rappelons également, que la liberté d’expression est aussi une liberté fondamentale par laquelle chaque personne a le droit d’avoir son opinion, ses idées et de les exprimer par n’importe quel moyen et sous n’importe quel format. Elle constitue un élément de toute démocratie.

 

Cette liberté étant consacrée par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme « Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière » ;  

 

Tout comme la présomption d’innocence, cette liberté est également consacrée par la Déclaration Universelle des droits de l’homme de 1948 qui dispose que « Tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considération de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit » ;

 

Le Conseil Constitutionnel a précisé en 1994, que la liberté d’expression est une « liberté fondamentale d’autant plus précieuse que son existence est une des garanties essentielles du respect des autres droits et libertés ». 

 

En France, en tant qu’œuvre de l’esprit, les œuvres cinématographiques connaissent une forte protection. Ainsi l’interdiction d’une œuvre, son altération ou le report de sa sortie sont considérés comme de graves atteintes à la liberté d’expression, voire considérés comme de la censure.

Cette liberté fondamentale connait toutefois des limites et n’est pas absolue. La Cour Européenne des droits de l’homme énumère certaines de ces restrictions. Outre celles liées à l’intérêt public, la Cour considère que la présomption d’innocence est une limite à la liberté d’expression, permettant à toute personne non encore condamnée mais présentée dans la presse comme coupable de faire rectifier publiquement les propos.

La présomption d’innocence apparait alors comme un important garde-fou à la liberté d’expression.  Par arrêt en date du 12 juillet 2001 la Cour de Cassation a eu l’occasion de se prononcer en la matière. La haute juridiction condamna un média pour une publication qui tenait pour acquise la culpabilité du requérant, constituant de ce fait une atteinte à la présomption d’innocence, au visa des dispositions de la cour Européenne des droits de l’homme. 

 

Dans cette affaire, la liberté d’expression et les aspects économiques ont très clairement primé sur la présomption d’innocence du père Preynat et de Régine Maire. D’après la lettre de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 relative à la présomption d’innocence, la suspension du film « Grace à Dieu » aurait dû être prononcée par les magistrats dans l’attente de la décision définitive qui sera rendue le 7 mars, dans un souci de bonne administration de la justice.  

A la date du 18 février 2019, le prêtre Preynat ainsi que Régine Maire n’ayant toujours pas été jugés étaient donc toujours présumés innocents ce qui est leur droit fondamental.

Ce droit fondamental a été violé par les décisions des tribunaux de Lyon et Paris. En agissant de la sorte, l’innocent est présumé coupable au bénéfice des intérêts économiques des cinéastes, intérêts me semble-t-il, dont la protection ne devrait en aucun cas primer sur la présomption d’innocence.

Notre société libérale et capitaliste a ainsi réussi à dénaturer et inverser les valeurs et principes fondamentaux de la République, de la Justice et des droits de l’Homme.

Florence MERCADE-CHOQUET