Quand le droit de grève se transforme en abus !

LMC droit de grève et abus

Si vous avez la force nous avons le droit, telle pourrait être la maxime du présent conflit opposant une majorité des syndicats-salariés à l’entrée en vigueur de la Loi Travail. Aux mouvements de grève se succèdent désormais le blocage des raffineries et des dépôts de carburant créant ainsi une nouvelle forme de protestation. Mais cette évolution dans l’exercice du droit de grève n’est pas sans conséquence puisqu’elle implique nécessairement une nouvelle appréciation juridique qui, en l’espèce, semble revêtir la forme d’un abus de droit.

La frontière entre une grève licite et un abus du droit de grève restant relativement floue et ténue, une description de ce droit quant à ses caractéristiques et ses limites semblent nécessaire.

 

Droit de grève un principe majeur :

 

Erigé en liberté fondamentale par le Préambule de la Constitution de 1946 et prévu par les dispositions du Code du travail, le droit de grève apparaît comme un principe primordial reconnu à tous les salariés. Cependant, l’absence de réglementation de ce droit par la Constitution et l’abondance des contentieux relatifs à son exercice ont progressivement menés la jurisprudence à fixer un cadre juridique précis de son application et ainsi de le définir comme étant une cessation collective et concertée du travail en vue d’appuyer des revendications professionnelles.

Cette définition nous mène au constat, selon lequel, la grève suppose tout d’abord une cessation de travail n’étant pas limitée dans le temps. Cependant cette absence de restriction temporelle est  compensée par la nécessité que cet arrêt de travail soit collectif, c’est-à-dire qu’il doit concerner un ensemble de salariés, sans pour autant être unanime. Ainsi, même si une grève affecte  une minorité de salariés, elle revêt néanmoins un caractère collectif.

Mais encore faut-il que cette cessation soit concertée et qu’elle implique une volonté commune des salariés d’agir tout au long du mouvement afin d’être conforme aux exigences posées par la définition jurisprudentielle du droit de grève, même si cette concertation n’est pas soumise à un formalisme puisqu’aucun texte ne l’impose.

A cette seconde condition s’ajoute une qualification délicate: celle des revendications professionnelles. En effet, la qualification de mouvement de grève suppose l’existence d’une revendication portant sur les droits reconnus aux salariés. La difficulté d’appréciation de cette ultime condition repose sur l’amalgame qui est souvent effectué avec la notion de grève politique : si dans les deux cas il existe bien une contestation, les revendications sont différentes en ce qu’une grève politique permet d’affirmer une position politique et se rattache par conséquent à un usage abusif du droit de grève. Néanmoins, la distinction entre la grève professionnelle et la grève politique peut parfois s’avérer artificielle et démontre à quel point la frontière entre l’exercice du droit de grève et son abus demeure ténue : ainsi à travers sa jurisprudence la Cour de cassation a reconnu  un caractère professionnel à des grèves nationales au motif que les revendications étaient étroitement liées aux préoccupations quotidiennes des salariés au sein de l’entreprise.

 

Définition de l’abus du droit de grève :

 

Finalement c’est notamment à travers un arrêt du 4 novembre 1992 que la Haute juridiction judiciaire précisera quelle est la définition de l’abus du droit grève, lui attribuant ainsi une limite: « ce n’est qu’au cas où la grève entraîne la désorganisation de l’entreprise qu’elle dégénère en abus» (Cass. soc., 4 novembre 1992 ; n°90-41.899, Bull.civ. V, n°529). Mais qu’est ce qu’une désorganisation de l’entreprise ?

La jurisprudence en droit social refuse d’attribuer à cette notion une interprétation extensive et considère qu’elle doit être entendue comme étant une véritable mise en péril de l’existence de l’entreprise de manière manifeste et anormale. Mais cette mise en péril ne doit en aucun cas être assimilée à une désorganisation de la production, celle-ci n’étant que la conséquence normale de la limitation de la durée du travail du fait de la grève, sauf à compromettre l’existence de l’entreprise.

 

Le blocage des raffineries et des dépôts de carburant est-il abusif ?

 

En l’espèce cette action est exercée par un ensemble de salariés qui ont une volonté commune et concertée de revendiquer leurs préoccupations quant aux conséquences que la Loi Travail aura sur leurs conditions professionnelles : les critères de définition de la grève sont donc remplis.

En revanche, si le droit de grève est collectif, son exercice est quant à lui individuel et nul ne serait être contraint à faire grève : ainsi le regroupement de salariés grévistes devant les entrées des raffineries et dépôts de carburant afin de bloquer l’accès aux salariés non-grévistes (dénommé piquet de grève) devient un abus dès lors qu’il entraîne la désorganisation de l’entreprise et qu’il entrave la liberté du travail.

Cette seconde condition en tant que critère de l’abus du droit de grève repose sur le principe, selon lequel le blocage de l’accès au lieu de travail peut, dans certaines circonstances, troubler l’ordre public et vise nécessairement à paralyser l’activité de l’entreprise tout en portant atteinte à la liberté de circulation des personnes et des biens pour une durée indéterminée, ce qui ne correspond pas à la définition sticto sensu de la grève.

L’Organisation internationale  du travail (ayant pour vocation de promouvoir les droits au travail et de renforcer le dialogue social dans le domaine du travail à l’échelle internationale) avait rappelé ce principe en l’an 2000 dans un document portant exclusivement sur les principes du droit de grève, et affirmé que « lorsque le piquet de grève s’accompagne de violences ou d’entraves à la liberté du travail par contrainte exercée sur les non-grévistes […] il peut être considéré comme une action illégitime».

La situation actuelle, si elle perdure et si les blocages de raffineries persistent pourraient amener les entreprises impactées par ces abus à saisir la justice.