La Cour de Justice de l’Union Européenne lève le voile

 

Sur un sujet aussi sensible que le port du voile ou de tout signe religieux en entreprise, une cohérence des différentes jurisprudences était essentielle, pour ne pas exacerber les passions, dans un contexte politique ultra-polarisé. La Cour Européenne des Droits de l’Homme, la Cour de cassation et maintenant la CJUE sont en passe de réussir ce pari.

Ainsi, le 14 mars 2017, la Cour de Justice de l’Union Européenne, réunie en Grande Chambre, dans deux affaires aux solutions toutefois différentes, intéressant l’une la France, l’autre la Belgique, a confirmé la possibilité pour un employeur, sous condition, d’interdire le port du voile à ses salariés.

  • La CEDH : Principe de laïcité

La CEDH avait déjà débouté une salariée française qui se plaignait de ne pas avoir été renouvelée à son poste, pour avoir refusé d’enlever son voile. La décision de la Cour était motivée par le principe de laïcité, « fondateur de l’Etat français », et celui de neutralité, imposé aux agents des services publics, qui ne constituaient pas une violation du droit à la liberté de religion (Arrêt du 26 novembre 2015, EBRAHIMIAN c/ France).

  • La Cour de cassation : Principe de neutralité

La Cour de cassation, en Assemblée plénière, avait quant à elle jugé que le licenciement pour faute grave d’une salariée, était justifié par son refus d’accéder aux demandes licites de son employeur, de s’abstenir de porter le voile et par les insubordinations répétées et caractérisées (Cass. Soc., 25 juin 2014, n° 13-28.369, affaire dite « Baby-Loup »).  

Cette interdiction était posée dans le Règlement Intérieur de la crèche.

Le principe de neutralité était justifié par la nature des tâches accomplies. La Cour de cassation a ainsi considéré que les activités en contact avec de jeunes enfants, sont de nature à légitimer une restriction à la liberté de manifester ses convictions religieuses.

  • La loi El Khomri : Droits fondamentaux

S’inscrivant dans ce courant, la loi du 8 août 2016, dite loi « El Khomri », avait déjà posé un principe de neutralité lequel peut être inscrit dans le Règlement Intérieur :

«  Le règlement intérieur peut contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés si ces restrictions sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché. »

  • La CJUE : Règlement intérieur

Dans ses deux arrêts du 14 mars 2017, la CJUE a tranché une dernière question, à savoir si un employeur pouvait invoquer dans sa demande de ne pas porter le voile, les souhaits émis par sa clientèle.

Une société avait licencié une salariée après lui avoir demandé en vain de ne plus porter son voile lorsqu’elle se trouvait en contact avec la clientèle. Cette demande avait été formulée alors que la cliente de la société avait fait part de la gêne de ses propres salariés, lors de l’intervention dans ses locaux de l’ingénieur voilée.

La Cour d’appel de PARIS, dans un arrêt du 18 avril 2013 (n° 11-05892), avait jugé que la mesure était légitime dans la mesure où la restriction était proportionnée au but recherché, puisque limitée aux contacts avec la clientèle.

Sur pourvoi, la Cour de cassation a porté une question préjudicielle devant la CJUE. La question posée était celle de savoir si au regard de l’article 4§1 de la directive n° 78/2000/CE le souhait d’un client pouvait constituer une exigence professionnelle essentielle et déterminante.

Pour rappel, l’article 4§1 de la directive prévoit que :

 » (…) les États membres peuvent prévoir qu’une différence de traitement fondée sur une caractéristique liée à l’un des motifs visés à l’article 1er ne constitue pas une discrimination lorsque, en raison de la nature d’une activité professionnelle ou des conditions de son exercice, la caractéristique en cause constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante, pour autant que l’objectif soit légitime et que l’exigence soit proportionnée ».

Ces dispositions ont été transposées notamment dans les articles L 1132-1 et L. 1133-1 du Code du travail (interdiction des discriminations).

La CJUE vient de répondre par la négative : le souhait de ne pas voir porté le voile ne constitue pas une exigence professionnelle essentielle et déterminante.

Mais cette décision doit être lue au regard de sa sœur jumelle. Dans l’arrêt intéressant la Belgique, la société avait modifié son Règlement Intérieur, lequel précisait qu’il était interdit de porter sur le lieu de travail des signes visibles de leurs convictions politiques, philosophiques ou religieuses ou d’accomplir tout rite qui en découle.

Dans l’arrêt intéressant la France, la CJUE avait considéré qu’à défaut de Règlement Intérieur, rien ne permettait d’avoir la certitude que l’employeur imposait bien à tous ses salariés une règle de neutralité.  

Dans un communiqué de presse (30/17) la CJUE résume :

« Une règle interne d’une entreprise interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux ne constitue pas une discrimination directe.

Cependant, en l’absence d’une telle règle, la volonté d’un employeur de tenir compte des souhaits du client de ne plus voir ses services assurés par une travailleuse portant un foulard islamique ne saurait être considérée comme une exigence professionnelle de nature à écarter l’existence d’une discrimination »

 

Il en résulte que l’interdiction ne vaut que si elle est prévue dans le Règlement Intérieur. Ce Règlement doit au demeurant être rédigé en se gardant de toute interdiction générale. Il convient d’apporter ainsi un soin extrême à sa rédaction.

Il est intéressant de noter incidemment que le fait religieux, les convictions politiques et philosophiques sont de ce point de vue traitées de la même manière.