Le barème d’indemnisation validé par la Cour

Avis de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation du 17 juillet 2019 :

l’Assemblée Plénière à la rescousse du Barème Macron.

 

La réforme du droit du Travail dont la mesure phare reste le barème d’indemnisation en cas de licenciement jugé sans cause réelle et sérieuse n’en finit pas de faire couler de l’encre.

Ce dernier a provoqué la fronde de certains salariés qui ont développé, par le biais de leurs conseils, l’argumentaire selon lequel l’instauration d’un barème d’indemnisation serait inconventionnelle.

L’argumentaire est désormais bien connu : le barème de l'article L. 1235-3 du Code du travail serait contraire tant à l’article 24 de la Charte sociale européenne qu’à l’article 4 de la Convention n°158 de l’Organisation Internationale du Travail (OIT).

Ces conventions obligent les états signataires à reconnaitre le droit du travailleur licencié sans motif valable à une indemnité adéquate.

Dans des décisions récentes plusieurs Conseils de Prudhommes ont été sensibles à l’argumentation et n’ont pas fait application du barème d’indemnisation.

 

Le 13 décembre 2018,  le Conseil de prud’hommes de TROYES, a le premier considéré que le barème de l’article L. 1235-3 violait la Charte sociale européenne, qui consacre « le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate et à une réparation appropriée » et la Convention 158 de l’OIT qui impose le versement « d‘une indemnité adéquate ou tout autre forme de réparation considérée comme appropriée » en cas de licenciement injustifié (CPH de Troyes, 13 décembre 2018, RG F 18/00036 ).

Pour arriver à cette conclusion, le juge a relevé que :

  • le plafonnement des indemnités prud’homales ne permet pas aux juges d’apprécier les situations individuelles des salariés injustement licenciés dans leur globalité et de réparer de manière juste le préjudice qu’ils ont subi ;
  • ces barèmes ne sont pas dissuasifs pour les employeurs qui souhaiteraient licencier sans cause réelle et sérieuse un salarié.

 

Le Conseil de prud’hommes d’AMIENS a poursuivi sur la même voie, dans un jugement du 19 décembre 2018, cette fois sur le seul fondement de la Convention 158 (CPH d’AMIENS, 19 décembre 2018, RG F 18/00040).

 

Enfin, le 21 décembre 2018, le Conseil de prud’hommes de LYON est venu rejoindre le mouvement, au terme d’un jugement qui ne fait même pas allusion au barème légal :  les Conseillers prud’homaux se sont contentés de faire référence à la Charte sociale européenne (CPH de LYON, 21 décembre 2018, RG F 18/01238)

Pourtant, le Conseil Constitutionnel, consulté dès avant la promulgation de la loi, avait considéré que le barème était conforme à la Constitution.

Dans sa décision le Conseil Constitutionnel indiquait : "D'une part, en fixant un référentiel obligatoire pour les dommages et intérêts alloués par le juge en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, le législateur a entendu renforcer la prévisibilité des conséquences qui s'attachent à la rupture du contrat de travail. Il a ainsi poursuivi un objectif d'intérêt général. (…)"

Les montants maximaux de cette indemnité fixés par la loi varient, selon l'ancienneté du salarié, entre un et vingt mois de salaire brut. Il ressort des travaux préparatoires que ces montants ont été déterminés en fonction des « moyennes constatées » des indemnisations accordées par les juridictions. Par ailleurs, conformément aux dispositions de l'article L. 1235-1 du code du travail, ces maximums ne sont pas applicables lorsque le licenciement est entaché d'une nullité résultant de la violation d'une liberté fondamentale, de faits de harcèlement moral ou sexuel, d'un licenciement discriminatoire ou consécutif à une action en justice, d'une atteinte à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, de la dénonciation de crimes et délits, de l'exercice d'un mandat par un salarié protégé ou des protections dont bénéficient certains salariés.

Il résulte de ce qui précède que la dérogation au droit commun de la responsabilité pour faute, résultant des maximums prévus par les dispositions contestées, n'institue pas des restrictions disproportionnées par rapport à l'objectif d'intérêt général poursuivi. (…) “ (C. constit., décision 2018-761 DC du 21 mars 2018,).

 

Pourtant, dans un jugement en date du 14 mars 2019 le Conseil de Prud’hommes de LOUVIERS n’a pas hésité à saisir la Cour de cassation d’une demande d’avis sur la conventionnalité de l’article L. 1235-3 du Code de travail.

Les faits de l’espèce sont les suivants : Un salarié est embauché à plusieurs reprises. Durant 1 an plusieurs contrats à durée déterminée sont conclus. Le salarié saisissait le Conseil de Prudhommes afin de faire requalifier les contrats précaires en un contrat à durée indéterminée.

Par jugement du 10 avril 2019, le Conseil de Prudhommes de LOUVIERS statuant en formation de départage à :

« requalifié les relations contractuelles entre SA SANOFI PASTEUR et Monsieur Brice F en un contrat à durée indéterminée à compter du 24 octobre 2016 (…)

Informé les parties et le Ministère public qu'il envisage de solliciter l'avis de la Cour de cassation en application de l'article L. 441-1 du Code de l'organisation judiciaire sur la question suivante :

"L'article L 1235-3 du code du travail, qui prévoit, en cas d'ancienneté du salarié licencié égale ou supérieure à une année complète et inférieure à deux années complètes, une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse minimale d'un mois et une indemnité maximale de deux mois, est-il compatible avec les articles 24 de la Charte sociale européenne et 10 de la Convention n° 158 de l'OIT, en ce qu'ils prévoient le droit pour le salarié licencié de percevoir une indemnité adéquate, ainsi qu'avec le droit au procès équitable protégé par la Convention Européenne des Droits de l'Homme ?"»

 

De même, le 4 avril 2019, le Conseil de Prud’hommes de TOULOUSE a formulé une demande d’Avis, selon la même procédure.

 

 

Le barème d’indemnisation validé par la Cour

La Cour a donc rendu deux avis, le 17 juillet 2019.

  • 1) Il conviendra tout d’abord de définir ce qu’est un avis de la Cour de cassation, dans quel cadre ces dernier sont rendus et enfin la teneur de celui qui nous occupe ?

Cette procédure a été instituée par la loi n° 91-491 du 15 mai 1991, codifiée aux articles L. 441- 1 à L. 441-4 du Code de l’organisation judiciaire et aux articles 1031-1 à 1031-7 du Code de procédure civile.

L’objectif d’une telle procédure est de permettre l’unification plus rapide de l’interprétation de la règle de droit nouvelle et de prévenir les contentieux en permettant à chacun de connaitre l’interprétation de la loi par la juridiction suprême. 

Ainsi, lorsqu’au cours d’une procédure un juge est confronté à une question de droit nouvelle, il peut solliciter la Cour de cassation avant de rendre sa décision.

Le Juge informe les parties et le Ministère public de sa demande d’avis. Ces derniers peuvent soumettre leurs observations à la Cour de cassation. La demande d’avis suspend la procédure.

Pour être recevable la question de droit doit être nouvelle, être de pur droit, présenter une difficulté sérieuse et se poser dans de nombreux litiges.

Si certains critères semblent ici remplis notamment le fait qu’il s’agisse d’une question de pur droit, et qu’elle se pose dans de nombreux litiges l’on pouvait douter de son caractère nouveau.

En effet, l’article L. 1235-3 du code du travail avait d’ores et déjà été validé à deux reprises par le Conseil Constitutionnel et par le Conseil d’Etat.

De plus, la Cour de cassation a déjà refusé de rendre un « avis » sur le respect ou non par le droit français des conventions internationales.

Dans une demande d’avis récente en date du 12 juillet 2017, la Cour de cassation a refusé de se prononcer s’agissant de la possibilité pour l’employeur de mettre un salarié à la retraite d’office à partir de 70 ans. (Avis n° 17011 du 12 juillet 2017 (Demande n° Y 17-70.009) ECLI :FR : CCASS :2017 : AV17011)

La Cour de cassation a estimé que « la question de la compatibilité de la mise à la retraite, hors de l’accord du salarié, prévue par les dispositions de l’article L. 1237-5 du code du travail avec la convention n° 158 de l’organisation internationale du travail relative à la cessation de la relation de travail à l’initiative de l’employeur, ne relèvent pas de la procédure d’avis (…) l’office du juge du fond étant de statuer au préalable sur cette compatibilité »

 

Toutefois, dans les avis rendus en formation plénière le 17 juillet dernier la Cour de cassation a accepté de se prononcer sur la conventionalité de l’article L. 1235-3 du Code du travail.

La Cour de cassation a certainement entendu endiguer le flot de décisions contradictoires devenu source d’instabilité et donc d’injustice pour les justiciables. Elle a de même sans doute été sensible à la pression, au moins médiatique, exercée sur elle.

La composition de la Cour de cassation lorsqu’elle rend un avis diffère selon qu’elle le rende en formation mixte ou en formation plénière. La dernière étant plus solennelle.

 

  • 2) Le contenu de l’avis et sa portée

Les deux avis rendus le 17 juillet 2018 sont courts mais rédigés dans des termes clairs et non équivoques. L’on peut en retenir les éléments suivants.

Tout d’abord, la formation plénière de la Cour revient sur sa jurisprudence habituelle en décidant que : « La compatibilité d’une disposition de droit interne avec les dispositions de normes européennes et internationales peut faire l’objet d’une demande d’avis, dès lors que son examen implique un contrôle abstrait ne nécessitant pas l’analyse d’éléments de fait relevant de l’office du juge du fond. »

Il s’agit là d’un revirement de jurisprudence car jusqu’à présent la Cour de cassation s’était toujours refusée à le faire.

Concernant le contenu même de l’avis, l’Assemblée plénière tranche et estime que la Charte Sociale Européenne n’a pas d’effet direct en France entre particuliers.

Pour tirer cette conclusion elle se repose sur la marge d’appréciation laissé par le texte aux états contractants.

La Cour de cassation se penche ensuite sur l’article 10 de la Convention 158 de l’OIT.

Selon l’article 10  de la Convention : « Si les organismes mentionnés à l’article 8 de la présente convention arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationales, ils n’ont pas le pouvoir ou n’estiment pas possible dans les circonstances d’annuler le licenciement et/ou d’ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée. »

La question résidait sur le point de savoir ce que l’on entend par indemnité adéquate ou réparation appropriée.

L’instauration d’un barème est-elle de facto contraire à ce principe ?

La Cour de cassation commence par réaffirmer que l’article 10 de la Convention n° 158 de l’Organisation Internationale du travail (OIT), est d’application directe dans le droit interne.

Mais elle estime également « que l’utilisation du terme adéquat « doit être compris comme réservant aux Etats parties une marge d’appréciation. »

En d’autres termes les états signataires sont libres de déterminer comment ils mettent en place et garantissent cette indemnisation « adéquate ».

L’Assemblée plénière de la Cour de cassation remarque qu’en l’état de la législation française le juge peut prononcer :

  • la réintégration du salarié et, si cette dernière est refusée par l’une ou l’autre des parties,
  • l’octroi d’une indemnité contenue dans des plafonds minimum et maximum. 

L’Assemblée plénière ajoute que ces plafonds ne s’appliquent pas en cas de licenciement nul.

La Cour en tire la conséquence suivante : « les dispositions de l’article L. 1235-3 du Code du travail, qui fixent un barème applicable à la détermination par le juge du montant de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, sont compatibles avec les stipulations de l’article 10 de la Convention n° 158 de l’OIT. »

La question de savoir quelles seront les conséquences de l’avis à intervenir est assez difficile à évaluer.

En effet, en vertu du principe d’indépendance des juges, l’avis de la Cour de cassation ne s’impose pas à ses derniers. Ils restent libres de prendre leurs décisions.

L’article L. 443-1 du Code de l’organisation judiciaire dispose : « L'avis rendu ne lie pas la juridiction qui a formulé la demande. »

Toutefois, il est peu probable que le juge qui a sollicité la Cour de cassation décide de ne pas se ranger à sa solution.

De plus, l’autorité de l’avis est garantie par la possibilité offerte au justiciable « victime » d’une décision d’un juge du fond dissidente de porter l’affaire devant la Cour de cassation.

Les chambres de la Cour de cassation elles-mêmes ne sont pas liées par un avis rendu par l’Assemblée Plénière.

Néanmoins, en tant que Cour régulatrice du droit, elle se doit d’avoir une jurisprudence aussi stable que possible, ce qui incitera certainement les chambres à suivre l’avis de l’Assemblée plénière.

Cette décision valide donc comme celle du Conseil Constitutionnel et celle du Conseil d’Etat avant elle, l’article L. 1235-3 du Code du travail.

Il ne reste plus qu’à attendre les inévitables pourvois en cassation afin de savoir si la Chambre sociale se rangera aux avis commentés et mettra ainsi fin définitivement à l’instabilité jurisprudentielle entourant cette disposition législative.