Le cas « LIDL » : Comportement, inaptitude, reclassement et position du salarié.

Jurisprudence pour le cas LIDL

Bien malgré elle, et par trois fois, la société LIDL a été au cœur, depuis la fin de l’année 2016, d’un revirement de la jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation, relative à l’obligation de reclassement de son salarié inapte :

  • arrêt du 23 novembre 2016, Madame Cindy X c/ LIDL, n° 15-18.092
  • arrêt du 23 novembre 2016, Monsieur Christophe X c/ LIDL, n° 14-26.398
  • arrêt du 11 mai 2017, Madame X c/ LIDL, n° 15-23.339

Fait notable, la Cour de cassation a accompagné les deux premiers arrêts, de novembre 2016, d’une note explicative sur la double portée normative de ses décisions.

La portée de cette jurisprudence est différente selon que l’on considère les procédures de licenciement antérieures à la réforme du 8 aout 2016 de la médecine du travail et de l’inaptitude, réforme en application depuis le 1er janvier 2017, qui a introduit un nouvel article dans le Code du travail (L. 1226-2-1) et les procédures postérieures.

 

Les procédures de licenciement sur la base des anciennes dispositions légales

 

1. Un assouplissement des obligations de l’employeur dans sa recherche d’un reclassement

 

Tout d’abord, la Chambre sociale écrit « rompre avec sa jurisprudence antérieure au terme de laquelle l’employeur ne doit pas tenir compte, pour le périmètre des recherches de reclassement d’un salarié déclaré inapte à son poste par le médecin du travail, de la position exprimée par ce salarié ».

La Cour de cassation met ainsi un terme à la jurisprudence développée notamment dans les arrêts du 16 septembre 2009 (n° 08-42.301), du 2 juillet 2014 (n° 12-29.552) et du 6 mai 2015 (13-27.349).

La Cour de cassation précise toutefois que la prise en compte de la position du salarié n’est qu’une simple faculté pour l’employeur, pour lequel subsiste toujours une obligation de justifier son impossibilité de le reclasser.

La seconde portée de ces deux arrêts est que l’appréciation du caractère sérieux de la recherche de reclassement relève du pouvoir souverain des juridictions du fond. Sur ce point, la chambre sociale ne procède qu’à un rappel, se conformant à sa jurisprudence antérieure.

 

2.  Une note explicative toutefois ambigüe 

 

La note explicative de la Cour pose une difficulté d’interprétation en raison de l’appréciation qu’elle a cru nécessaire d’apporter :

« Si les affaires en cause dans les arrêts ici commentés se présentent dans le contexte d’un groupe de sociétés à dimension internationale, le principe nouveau affirmé de façon générale, a vocation à s’appliquer quelles que soient la taille de l’entreprise et son appartenance ou non à un groupe. »

Ainsi, en voulant préciser la portée de ses arrêts, la Cour de cassation brouille son message en semblant la réduire à un cas de figure particulier : celui de la position prise par le salarié sur le périmètre géographique de son reclassement.

La question reste en effet de savoir si cet assouplissement de l’obligation de reclassement, a vocation à s’appliquer également aux souhaits exprimés par le salarié sur le périmètre « fonctionnel » du reclassement et non seulement géographique.

C’est ce point principalement qui intéresse les employeurs.

 

3.  L’éclairage donné par l’avis de l’Avocat général

 

Une interprétation restrictive de l’avis de la Cour de cassation n’irait pas à notre avis dans le sens des conclusions de l’Avocat général développées pour les deux arrêts du 23 décembre 2016.

Celui-ci en effet semble appeler de ses vœux un assouplissement général de l’obligation de reclassement, pour les motifs suivants.

L’Avocat général fait tout d’abord le constat de l’échec de la procédure de reclassement des salariés déclarés inaptes. Un salarié déclaré inapte est un salarié à terme licencié.

En effet, les obligations pesant sur l’employeur sont à ce point contraignantes, qu’il s’est peu à peu développé chez l’employeur le sentiment que, quoi qu’il tente, il sera toujours attrait devant les juridictions prud’homales et au bout du compte condamné.

Rappelons à ce propos, qu’un salarié a tout à fait le droit de refuser une proposition de reclassement qui lui a été faite, tout en ayant la possibilité a posteriori, malgré le refus qu’il a opposé, de contester que son employeur a été au bout de sa recherche de reclassement, et qu’il lui a ainsi proposé tous les postes disponibles.

Nécessairement, dans un tel état d’esprit, l’employeur n’est pas encouragé à tenter un reclassement réel de son salarié. La procédure de recherche de reclassement est menée de façon extrêmement formaliste, sans aucune intention de la faire réellement aboutir.

Alors, l’Avocat général développe une position d’équilibre qui pourrait conduire les employeurs à revenir à une recherche de bonne foi d’un reclassement et à réhabilité cette procédure.

Cette position équilibre consisterait à permettre à l’employeur de tenir compte des positions de son salarié. Ainsi se développerait entre l’employeur et son salarié un échange constructif, dans lequel chaque partie serait mise devant ses responsabilités.

Permettre à l’employeur de démontrer qu’il a tenté de bonne foi le reclassement de son salarié, mettre fin à des obligations insurmontables, conduisant à une condamnation quasi systématique, l’amènerait à réaliser un réel effort de reclassement.

Cette position, développée par l’Avocat général, irait dans le sens de la jurisprudence que la Cour de cassation a développée à partir du 25 novembre 2015 relative à l’obligation de sécurité dite « de résultat », pour laquelle la Cour a enfin admis la possibilité pour l’employeur de s’exonérer en justifiant avoir mis en place des mesures effectives de prévention des risques professionnels prévus par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail (Cass. soc., 25 novembre 2015, n° 14.24-444).

En conséquence, limiter l’apport de la jurisprudence du 23 novembre 2016 au seul périmètre géographique du reclassement, n’irait pas selon nous dans le sens de l’équilibre qui semble avoir été dessiné l’Avocat général dans son avis.

L’employeur devrait pouvoir opposer à son salarié les restrictions géographiques et fonctionnelles que ce dernier pourrait avoir posées, pour justifier de ses efforts de recherche de reclassement.

 

4.  Un éclaircissement de la Cour de cassation sur la portée réelle de son revirement de jurisprudence, est souhaité.

 

Dans un arrêt du 11 mai 2017 (n° 15-23.339), la Cour de cassation a certes à nouveau réaffirmé que l’employeur peut tenir compte de la position prise par le salarié déclaré inapte dans sa tentative de reclassement.

Toutefois cet arrêt, concernant une nouvelle fois la société LIDL, a trait toujours aux conditions de reclassement géographique du salarié.

Ainsi donc, ni sa note explicative aux arrêts du 23 novembre 2016 ni la dernière jurisprudence du 11 mai 2017, ne permettent d’éclaircir de façon définitive la portée de son revirement de jurisprudence de décembre 2016.

Une explication est d’autant plus souhaitable que l’articulation avec les dispositions du  nouvel article L. 1226-2-1 du Code du travail n’est pas claire.

 

Prospective : articulation avec les dispositions de l’article L. 1226-2-1 du Code du travail, pour les nouvelles procédures de licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement

 

Cette jurisprudence est à mettre en perspective avec l’introduction des dispositions de l’article L. 1226-2-1 du Code du travail de la loi du 8 août 2016.

Selon les dispositions de cet article : « l’obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsque l’employeur a proposé un emploi, dans les conditions prévues à l’article L. 1226-2, en prenant en compte l’avis et les indications du médecin du travail ». 

Dans ces conditions, l’apport de la jurisprudence de novembre 2016, pour les nouvelles procédures de licenciement, introduites sur la base des nouvelles dispositions légales, semblerait limité au seul cas où l’employeur ne proposerait aucun poste disponible de reclassement en raison de la position manifestée par son salarié.

En effet, l’employeur a l’obligation de proposer un poste de reclassement compatible avec les restrictions posées par la Médecine du travail. Aussi, si l’employeur propose un tel poste et que le salarié le refuse, il a par cette seule proposition rempli son obligation de recherche de reclassement, sans être obligé de proposer tous les postes disponibles. Par ailleurs, il importe peu qu’il ait ou non tenu compte du souhait de son salarié, ce qui est d’ailleurs reconnu comme une simple faculté par la Cour.

En revanche, s’il ne propose aucun poste en raison de la position exprimée par son salarié, s’il ne démontre pas qu’il n’a effectivement aucun poste à proposer, il n’aura pas respecté l’obligation posée par l’article L. 1226-2-1. La jurisprudence de novembre 2016 l’autorise toutefois à opposer au salarié sa position, son comportement, pour justifier qu’il n’ait rien pu lui proposer.

Ce raisonnement (proposition d’un seul poste) reste toutefois à confirmer. Il ne le sera malheureusement par la Cour qu’une fois qu’elle aura à examiner les licenciements pour inaptitude et impossibilité de reclassement engagés sur la base des dernières dispositions légales et règlementaires, soit dans quelques années.

Il est conseillé aux employeurs de rechercher au moins un poste de reclassement et de le proposer à leurs salariés, quand bien même la position qu’ils auraient pu faire connaitre à leur employeur les conduiraient logiquement à les refuser.