Le sexe neutre ne passe pas

Le sexe neutre ne passe pas

Nous nous interrogions récemment à l’occasion d’un article relatif au transsexualisme et à l’intersexualisme, sur l’opportunité, l’intérêt aujourd’hui de la mention du sexe sur les actes de l’état civil.

L’idée émergeait notamment au regard de ce qui se fait hors de nos frontières, où un troisième genre a été admis dans de nombreux pays.

Il était possible d’imaginer que dans l’élan suscité par le réforme du changement de sexe orchestrée par la loi de de modernisation de la justice du XXIème siècle du 18 novembre 2016, une révolution intervienne au profit des personnes au sexe indéterminé.

Nul vent de modernité au sein de la Cour de cassation qui vient, le 4 mai 2017 (Civ. 1ère, 4 mai 2017, n° 16-17.189), de mettre un coup d’arrêt à de grandes espérances.

 

Le troisième sexe dans le monde

 

Comme nous vous l’évoquions dans notre brève relative au changement de sexe, l’Allemagne, l’Argentine, l’Australie, l’Inde, le Népal ou encore la Polynésie ont admis le sexe neutre.

En Inde, depuis 2005, les personnes intersexuées peuvent opter pour un 3ème sexe lors de leurs demandes de passeport. L’égalité des droits entre ces personnes et les personnes entrant dans la binarité des sexes, a par la suite été reconnue pleinement. Les bugis, peuple d’Indonésie, reconnaissent l’existence de cinq « sexes » (masculin, féminin, androgyne, homme travesti, femme travestie).

Depuis une loi adoptée le 7 mai 2013, il est possible en Allemagne de choisir la mention sexe non identifié lors de la naissance d’un enfant.

La Juridiction Suprême d’Australie a quant à elle reconnu le 2 avril 2014 la possibilité de l’inscription d’un sexe neutre sur les actes d’état civil.

Cette ouverture d’esprit dans l’ensemble de ces pays plus ou moins frontaliers, pouvait servir d’inspiration créatrice à notre système interne. Tel n’a pas été le cas.

 

Le refus du sexe neutre en France

 

Dans cette affaire qui a donné lieu à l’arrêt du 4 mai dernier, une personne née de sexe masculin, avait saisi à l’âge de 63 ans le Président du Tribunal de grande instance d’une demande de rectification de son acte de naissance afin que soit substituée à l’indication sexe masculin celle de sexe neutre ou intersexe.

La Cour d’appel d’ORLEANS avait dans un arrêt rendu le 22 mars 2016 refusé de faire droit à sa demande, alors que le Tribunal statuant en première instance avait accueilli la demande.

Un pourvoi a alors été formé devant la Cour de cassation. Plusieurs arguments étaient soulevés au soutien de ces prétentions, incluant l’atteinte au droit au respect à sa vie privée. La personne à l’origine du pourvoi soutenait qu’elle était biologiquement intersexuée et ne se considérait, psychologiquement, ni comme un homme ni comme une femme.

Plus particulièrement, le requérant exposait qu’il était l’objet d’une ambiguïté sexuelle qui avait perduré tout au long de sa vie.

La Cour de cassation n’a pas entendu cet appel à une reconnaissance du sexe neutre, à la différence de ce qui s’est fait chez nos voisins allemands comme souligné précédemment.

La Cour énonce que « la loi française ne permet pas de faire figurer, dans les aces de l’état civil, l’indication d’un sexe autre que masculin ou féminin.

La Cour poursuit en fondant son refus que : « si l’identité sexuelle relève de la sphère protégée par l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la dualité des énonciations relatives au sexe dans les actes de l’état civil poursuit un but légitime en ce qu’elle est nécessaire à l’organisation sociale et juridique, dont elle constitue un élément fondateur ; que la reconnaissance par le juge d’un “sexe neutre” aurait des répercussions profondes sur les règles du droit français construites à partir de la binarité des sexes et impliquerait de nombreuses modifications législatives de coordination ».

Plus précisément, la Cour de cassation s’est notamment basée sur une notion qui ne manquera pas d’étonner, « les yeux des tiers », afin de déterminer le sexe d’appartenance du requérant.

Il est possible d’en déduire que le subjectif et le ressenti n’ont pas encore leur place en la matière, ce qui ne peut qu’étonner lorsqu’on étudie la jurisprudence rendue par la Cour Européenne des Droits de l’Homme qui accorde une certaine importance au sexe ressenti.

Il est également possible de remettre en cause le but légitime poursuivi mis en avant par la Cour de cassation pour justifier sa décision. Ici encore, l’importance de la mention du sexe dans les actes de l’état civil quant à l’organisation sociale et juridique peut laisser songeur.

L’arrêt étant extrêmement motivé et promis à une large diffusion, la perspective d’un revirement de jurisprudence semble en l’état mince. Pour autant, ce rejet du sexe neutre ne semble pas définitif à plus long terme et des évolutions sont encore à attendre en la matière.

Cette frilosité de la Cour de cassation peut toutefois s’entendre. S’agissant d’une modification d’ampleur, la modification par la voie législative semble préférable afin d’assurer la cohérence de notre système législatif.

La poursuite de ce combat devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme est également à attendre.