Les contrats UBER – existe-t-il un contrat de travail ?

LES CONTRATS UBER
Un orage sans tonnerre ?

L’arrêt de la Cour de cassation du 4 mars 2020 (n° 19-13.316)
 

Pour la seconde fois, la Cour de cassation a été appelée à se prononcer sur l’existence ou non d’un contrat de travail, entre une personne physique et un donneur d’ordre, en l’espèce la société UBER, plateforme de mise en relation entre chauffeur VTC et clients.

Déjà dans un arrêt TAKE EAT EASY, du 28 novembre 2018 (n° 17.20-07), la Cour avait relevé que :

  • Le lien de subordination est caractérisé par l’exercice d’une activité sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements du subordonné.
  • L’application était dotée d’un système de géolocalisation (suivi en temps réel et comptabilisation des kilomètres parcourus) : l’application ne se limitait pas à mettre en relation le client, le restaurateur et le coursier.
  • Il y avait bien un pouvoir de sanction par les bonus/malus.

Or, le pouvoir de donner des instructions, de contrôler et de sanctionner est l’apanage de l’employeur.

Dans cette nouvelle espèce, elle applique sans surprise la même grille d’analyse.

Aux termes de l’article L. 8221-6 du Code du travail, les personnes physiques immatriculées au Registre du Commerce et des Sociétés, au Répertoire des Métiers, Registre des Agents Commerciaux ou auprès des URSSAF pour le recouvrement des cotisations d’allocations familiales sont présumées ne pas être liées avec le donneur d’ordre par un contrat de travail en exécution de l’activité donnant lieu à immatriculation.

Il s’agit que d’une présomption simple.

La Cour de cassation rappelle dans sa note explicative à l’arrêt, que l’existence d’une relation de travail salarié ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité professionnelle. Ceci a été rappelé à de très nombreuses reprises (Cass. soc., 9 mai 2001, n° 98-46.158).

Partant de là, elle met en exergue le lien de subordination qui, aux côtés du travail fourni, et de la rémunération est l’un des trois piliers du contrat de travail. Le lien de subordination se caractérise par le pouvoir de donner des instructions, de les contrôler, de sanctionner.

Dans notre hypothèse, il existe bien un travail et une rétribution, qu’en est-il du lien de subordination ?

Étudiant le cas particulier soumis, la Cour de cassation reprend les constatations de la Cour d’appel, dont elle valide l’analyse :

  • Le chauffeur a intégré un service de prestations de transport créé et entièrement organisé par la société UBER, service qui n’existe que grâce à cette plate-forme, à travers l’utilisation duquel il ne constitue aucune clientèle propre, ne fixe pas librement ses tarifs ni les conditions d’exercice de sa prestation de transport ;
  • Le chauffeur se voit imposer un itinéraire particulier dont il n’a pas le libre choix et pour lequel des corrections tarifaires sont appliquées si le chauffeur ne suit pas cet itinéraire ;
  • La destination finale de la course n’est parfois pas connue du chauffeur, lequel ne peut réellement choisir librement, comme le ferait un chauffeur indépendant, la course qu’il convient ou non ;
  • La société a la faculté de déconnecter temporairement le chauffeur de son application à partir de trois refus de course, le chauffeur peut perdre l’accès à son compte en cas de dépassement d’un taux d’annulation de commande ou de signalement de « comportements problématiques ».

La Cour de cassation a ainsi logiquement approuvé la Cour d’appel, laquelle a déduit de l’ensemble de ces éléments l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres, d’en contrôler l’exécution, de sanctionner les manquements. En conséquence le statut de travailleur indépendant du chauffeur était fictif.

Cet arrêt constitue-t-il un coup de tonnerre dans le modèle économique des plates-formes numériques ?

A priori non puisque cet arrêt avait été précédé par celui du 28 novembre 2018 (TAKE EAT EASY), annonciateur. Il était donc prévisible. Depuis cette date, depuis celle de l’arrêt d’appel, nul doute que la société UBER avait déjà anticipé ce retournement de situation en prévoyant d’adapter son modèle.

L’objectif de la Cour de cassation n’est enfin pas de mettre en péril le statut d’auto-entrepreneur, qui convient très bien à ceux qui l’adoptent. Rappelons que si la société UBER doit faire face à 150 demandes de requalification en CDI en France, cela ne représente que 0,2% des chauffeurs passés ou actuels. Il n’y a donc pas de demande de fond.

Alors qu’il n’est plus question de remettre en cause le développement numérique et de contester la transformation de la relation de travail, l’intérêt de cet arrêt est peut-être de maintenir l’interrogation sur l’adéquation entre activité réelle et modèles juridiques. Les plateformes doivent s’adapter ; le législateur sans doute également.

L’arrêt du 28 novembre 2018, n° 17-20.7 :
https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000037787075&fastReqId=1999946357&fastPos=1
L’arrêt du 4 mars 2020, n° 19-13.316 :
https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/chambre_sociale_576/374_4_44522.html