La ponctualité ? Une obligation de résultat pour la SNCF !

La ponctualité ? Une obligation de résultat pour la SNCF !

 

Par un arrêt du 14 janvier 2016 (Civ. 1ère, 14 janvier 2016, n°14-28227), la Cour de cassation a affirmé que :

« l’obligation de ponctualité à laquelle s’engage un transporteur ferroviaire constitue une obligation de résultat dont il ne peut s’exonérer que par la preuve d’une cause étrangère ne pouvant lui être imputée ; que la méconnaissance de cette obligation est réparée à concurrence du préjudice strictement prévisible lors de la conclusion du contrat et qui constitue une suite immédiate et directe du retard dans l’exécution de celui-ci »

Traduction : les trains de la Société Nationale des Chemins de Fer (SNCF) sont obligés d’être à l’heure. Humour de la Haute juridiction ? Bien au contraire. Cette jurisprudence est susceptible de très nombreuses applications futures. Pour bien comprendre cette décision, un rapide rappel s’impose.

 

 

Obligation de moyen ou de résultat, une distinction aux fortes conséquences

 

Chaque fois que deux individus forment un contrat au terme duquel ils ont tous les deux des obligations, ce contrat est dit synallagmatique et l’inexécution de ses obligations par l’une ou l’autre des parties doit être envisagée par les cocontractants, c’est-à-dire les deux parties au contrat. En l’absence de prévision contractuelle spécifique, le régime légal règle alors la question d’une éventuelle inexécution contractuelle. Applicable jusqu’à l’entrée en vigueur de la réforme du droit des contrats le 1er octobre 2016, l’article 1147 du Code civil dispose ainsi que :

« Le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part. »

Pour pouvoir sanctionner le manquement d’une partie à ses obligations contractuelles, celles-ci doivent être clairement définies. En effet, un juge ne peut pas considérer qu’une partie est défaillante s’il n’a pas préalablement cerné le contenu exact de son obligation. Traditionnellement, les juridictions distinguent entre deux sortes d’obligation : les obligations de moyen et les obligations de résultat.

Les obligations de moyen concernent les cas où le cocontractant promet à l’autre partie au contrat de tout faire pour parvenir à un résultat, mais sans garantir que ledit résultat sera atteint. Typiquement, c’est la situation dans laquelle un individu se rend chez le médecin : le professionnel de santé cherche à tout faire pour venir en aide à son patient mais sans être en mesure de l’assurer par avance de sa réussite.

A l’inverse, les obligations de résultat concernent les cas où le cocontractant s’engage envers l’autre partie à atteindre un résultat bien précis. Lorsque vous vous rendez en boulangerie, vous ne vous attendez pas à ce que le boulanger mette tout en œuvre pour vous fournir une baguette mais plutôt qu’il vous la fournisse en échange de son prix, c’est donc une obligation de résultat qui ne saurait être satisfaite par un « j’ai tout essayé, mais le levain n’a pas pris, je suis navré… ».

La distinction entre obligation de moyen et de résultat est précieuse en matière d’inexécution contractuelle car c’est elle qui détermine la partie qui a la charge de la preuve, c’est-à-dire la partie à laquelle il incombe de prouver les faits. En cas d’obligation de moyen, c’est la partie qui invoque l’inexécution contractuelle qui doit prouver que l’autre ne s’est pas acquittée de ses obligations. En cas d’obligation de résultat, c’est la partie qui est accusée de ne pas avoir atteint ce résultat qui doit prouver qu’elle l’a bien atteint.

Résumons. La distinction entre obligation de résultat et de moyen entraîne donc à la fois des conséquences majeures sur le contenu même de l’obligation, ce qui est mis à la charge des parties et qu’elles ont l’obligation de faire au nom du contrat, mais aussi sur la personne qui devra rapporter la preuve de l’inexécution contractuelle, si tant est qu’une telle défaillance existe.

Ces quelques éléments rappelés, concentrons-nous sur l’affaire qui nous intéresse.

 

 

La position de la Cour de cassation, une porte ouverte aux réclamations en indemnisation

 

En l’espèce, un particulier a acheté un billet de train Marseille-Istres et un autre Istres-Nîmes avec correspondance à Miramas, respectivement en première et seconde classe. Cependant, au regard de l’absence de sièges disponibles en première classe, l’usager a été contraint de s’installer en seconde classe pour le trajet Marseille-Istres. Le lendemain, son train Istres-Nîmes ayant plus de 30 minutes de retard, le voyageur a effectué le trajet en taxi.

Par conséquent, il demandait l’indemnisation de son préjudice. Si l’indemnisation du premier trajet n’a pas véritablement causé de souci aux juges, il en est allé tout autrement du second. En effet, la question posée par le retard du train Istre-Nîmes était celle de savoir si l’obligation de ponctualité était une obligation de moyen ou de résultat pour la SNCF, donc de déterminer si le retard d’un train pouvait être indemnisé. Si l’obligation était de moyen, la SNCF aurait juste eu à prouver qu’elle avait mis en œuvre les moyens nécessaires pour arriver à l’heure, et tant pis pour l’usager en cas d’échec. Cette qualification d’obligation de moyens a été retenue par les juges du fond, mais était contesté devant la Cour de cassation par l’usager.

La Cour de cassation a finalement tranché : l’obligation de ponctualité est une obligation de résultat. Dès lors, c’est à la SNCF de prouver que le résultat a bien été atteint et elle ne peut s’exonérer de sa responsabilité, c’est-à-dire d’éviter d’indemniser l’usager, que si elle rapporte la preuve que son absence de ponctualité est due à une cause étrangère, soit un élément complètement indépendant de la volonté de la SNCF et sur lequel elle n’avait aucun contrôle. Le voyageur a donc été indemnisé du retard et de ses conséquences directes, notamment le prix du trajet en taxi.

Le juge judiciaire a donc ouvert grand les portes à de futures réclamations des usagers dont les trains ont eu du retard, facilitant leur indemnisation en limitant strictement les excuses invocables par la SNCF.