Transsexualisme : la simplification du changement de sexe

La loi dite de modernisation de la justice du XXIème siècle du 18 novembre 2016 n°2016-1547, a apporté une modification majeure  pour les personnes souffrant de transsexualisme, également appelé syndrome de Benjamin.

Une nouvelle section est insérée au sein du Code civil et porte sur la modification de la mention du sexe à l’état civil. Cette disposition fait écho à la réelle insécurité juridique ressentie par les transsexuels souhaitant voir leur état civil en conformité avec leur sexe ressenti ou devenu réel. Pour la première fois, la rectification de la mention du sexe sur l’état civil est encadrée formellement par la loi.

Un parcours du combattant

Pendant longtemps, seul l’article 99 du Code civil permettait d’obtenir la rectification des actes de l’état civil. Cet article n’était pas adapté aux transsexuels.

A défaut de dispositions légales précises jusqu’à la loi de 2016, seule la jurisprudence avait encadré le changement de sexe. L’assemblée plénière de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 11 décembre 1992 avait à la suite d’une condamnation de la France par la Cour Européenne des Droits de l’Homme le 25 mars 1992, autorisé le changement de sexe :

« Lorsque, à la suite d’un traitement médico-chirurgical, subi dans un but thérapeutique, une personne présentant le syndrome du transsexualisme ne possède plus tous les caractères de son sexe d’origine et a pris une apparence physique la rapprochant de l’autre sexe, auquel correspond son comportement social, le principe du respect dû à la vie privée justifie que son Etat civil indique désormais le sexe dont elle a l’apparence ; que le principe de l’indisponibilité de l’état des personnes ne fait pas obstacle à une telle modification.» (Cass. ass. plén., 11 déc. 1992, n° 91-11.900).

De ce fait, la jurisprudence reposait sur une analyse médicale de la situation du demandeur, par l’intermédiaire d’une expertise judiciaire et de la preuve de l’existence d’un traitement médical en lien, à l’instar d’une opération de réassignation sexuelle. Bien plus que l’apparence, les magistrats exigeaient la démonstration d’un réel rattachement au sexe ressenti.

A la suite de cette décision, une circulaire du 14 mai 2010 est venue apporter des précisions au regard de l’incohérence des différentes juridictions sur le sujet.

Cette circulaire n’a pas été respectée par l’ensemble des magistrats, comme en témoigne un arrêt de la Cour d’appel de Montpellier selon laquelle « la réalité du syndrome transsexuel ne peut être établie que par une expertise judiciaire. Cette interprétation ne peut être modifiée par une circulaire. » ( Montpellier, 27 septembre 2010, n°09/08494)

La Cour de cassation a de nouveau affirmé sa position par un arrêt du 7 juillet 2012 où elle exigeait la démonstration de la réalité du syndrome transsexuel ainsi que le caractère irréversible de la transformation de son apparence. (Civ. 1ère, 7 juin 2012, n°10-26.947 et n°11-22.490).

Beaucoup de transsexuels refusaient ces expertises médicales jugées comme intrusives et hors de proportion.

La loi est venue simplifier la procédure en passant d’une rectification de l’état civil à un changement de sexe. Elle est ainsi venue renverser la jurisprudence depuis si longtemps établie en démédicalisant la procédure.[1]

Une démédicalisation de la procédure

La loi du 18 novembre 2016 entrée en vigueur le 20 novembre 2016 est venue encadrer le dispositif relatif au changement de sexe.

Désormais, le nouvel article 61-5 du Code civil dispose :

« Toute personne majeure ou mineure émancipée qui démontre par une réunion suffisante de faits que la mention relative à son sexe dans les actes de l’état civil ne correspond pas à celui dans lequel elle se présente et dans lequel elle est connue peut en obtenir la modification. Les principaux de ces faits, dont la preuve peut être rapportée par tous moyens, peuvent être :

1° Qu’elle se présente publiquement comme appartenant au sexe revendiqué ;

2° Qu’elle est connue sous le sexe revendiqué de son entourage familial, amical ou professionnel ;

3° Qu’elle a obtenu le changement de son prénom afin qu’il corresponde au sexe revendiqué ;

Plus aucune expertise médicale ou transformation irréversible ne sont exigées. Plus précisément, le législateur énonce désormais clairement à l’article 61-6 du Code civil que « le fait de ne pas avoir subi des traitements médicaux, une opération chirurgicale ou une stérilisation ne peut motiver le refus de faire droit à la demande. »

Les conditions précitées ne sont pas inscrites comme cumulatives, même si désormais le changement de prénom est déjudiciarisé et simplifié et sera par conséquent une condition plus facile à remplir. La preuve se fait par tous moyens.

Avec l’abandon de l’exigence d’une irréversibilité médicalement constatée du changement de sexe, certains craignent les éventuelles grossesses d’homme[2] ou paternité de femme. Au-delà de ces questions, reste à voir l’application que feront les tribunaux de cette nouvelle loi.

Seul le Tribunal de grande instance est compétent pour ordonner la modification de la mention relative au sexe dans les actes de l’état civil.

Les raisons de cette loi résident peut être dans la disparition de l’enjeu de l’identification par le sexe ou encore dans le coût des expertises judiciaires.

Le mariage homosexuel est en effet désormais possible, l’égalité homme femme est dans les textes presque totale…quel est désormais l’intérêt légal du sexe ? Cette simplification pose de ce fait plus largement la question de l’intersexualisme et donc celle de la reconnaissance d’un sexe neutre qui n’a pas été consacrée par la réforme de novembre 2016.

Les intersexués : grands perdants de la réforme ?

La binarité n’est pas de ce monde. Pourtant, la société est organisée autour de la binarité des sexes : un sexe féminin ou masculin.

Pour autant, certaines personnes naissent intersexuées. Est une personne intersexuée, «  tout individu qui commence son développement avec son sexe génétique mais l’achève avec le sexe opposé, et qui, de ce fait, présente un aspect intermédiaire entre le mâle et la femelle » (Définition Larousse). L’intersexualité est également connue sous le nom d’hermaphrodisme.

Si ces dernières années, les personnes intersexuées voient reconnaître leur statut dans plusieurs pays, il n’en est rien en France. Ainsi l’Allemagne, l’Argentine, l’Australie, l’Inde, le Népal ou encore la Polynésie ont admis un troisième genre, neutre.

Si la loi de novembre 2016 n’apporte aucune disposition dédiée à l’intersexualisme, les nouveaux articles devraient pour autant avoir des conséquences sur les personnes intersexuées. Ainsi, le délai de déclaration de naissance est allongé, de 3 à 5 jours. Les parents d’enfants intersexués bénéficient ainsi d’un sursis supplémentaire de deux jours pour l’assignation d’un sexe à l’enfant sur les actes d’état civil.

Enfin, une personne intersexuée peut également être transsexuelle et souhaiter obtenir la modification de la mention de son sexe sur les actes d’état civil. De ce fait, elle bénéficiera des dispositions de simplification de la procédure de changement de sexe et de prénom.[3]

Plus que la création d’un troisième genre, certains s’interrogent sur la suppression de toute référence au sexe en droit[4] . Pour l’instant, une telle réforme ne semble pas à l’ordre du jour.

 

[1] « Loi de modernisation de la justice du XXIème siècle : changement de la mention de sexe à l’état civil », F. Vialla, D.2017.2351

[2] « Une libéralisation du changement de sexe par la loi », Sophie Paricard, Elnet 02/12/16 | Personne et corps humain

[3] « La loi de modernisation de la justice au XXIème siècle et les personnes intersexuées », Benjamin Moron-Puech, D.2017.2353

[4] Maxime Peron, « Intersexualisme, l’admission d’un troisième genre au regard des exemples étrangers », La Revue des droits de l’homme [En ligne], 8 | 2015, mis en ligne le 21 novembre 2015, consulté le 28 mars 2017. URL : http://revdh.revues.org/1652 ; DOI : 10.4000/revdh.165