Gestation pour autrui : la volonté de l’Etat supérieure à l’intérêt de l’enfant

La Grande Chambre de la Cour Européenne des Droits de l’Homme vient d’annuler par un arrêt du 24 janvier 2017 (CEDH, Gr. Ch., 24 janvier 2017, n°25358/12) une décision rendue par une de ses chambres en 2015 qui condamnait l’Italie pour avoir enlevé à ses parents d’intention, un enfant de neuf mois issu d’un processus de Gestation pour autrui.

 

Interdiction de la GPA en France

 

La gestation pour autrui est interdite en droit français, en application de l’article 16-7 du Code civil.

Au soutien d’une telle interdiction, la difficulté de garantir les principes d’anonymat et de gratuité mais surtout le principe d’indisponibilité du corps humain, de l’état des personnes ou de l’incitation à l’abandon d’enfant.

De ce fait, nombreux sont les couples qui partent à l’étranger conclure des conventions de Gestation pour autrui et qui tentent de revenir en France en sollicitant la transcription de l’acte de naissance de l’enfant né à l’étranger sur les registres de l’état civil français. Ils se heurtent à un refus des autorités.

Pendant longtemps, cette opposition a été validée par la Cour de cassation au nom des principes précités, d’indisponibilité du corps humain et de l’état des personnes. Les actes de naissance étrangers étaient considérés comme contraires à l’ordre public international français et ne pouvaient de ce fait être transcrits (Civ. 1ère 6 avril 2011, n°10-19.053, 09-66.486, 09-17.130).

La Cour Européenne des Droits de l’Homme a condamné la France dans deux arrêts du 26 juin 2014 (CEDH, 26 juin 2014, aff. 65941/11,  Labassée c/ France ; CEDH, 26 juin 2014, n° 65192/11,  Mennesson c/ France).

La Cour avait justifié sa décision non pas au soutien du droit au respect de la vie familiale mais au nom de la violation du droit au respect de la vie privée des enfants, protégé par l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme.

La Cour de cassation a suivi la Cour Européenne des Droits de l’Homme dans deux arrêts rendus le 3 juillet 2015 par l’Assemblée plénière (AP, 3 juillet 2015 n°14-21.323 et 15-50.002) en autorisant la transcription des actes de naissance étrangers d’enfants issus de gestation pour autrui.

Pour autant, seuls étaient retranscrits les actes étrangers conformes à la réalité, à savoir ceux désignant la mère biologique et le père biologique. Reste exclue la transcription de l’acte de naissance étranger où la mère d’intention qui n’est pas la mère biologique ayant accouché de l’enfant, est inscrite en tant que mère légale de l’enfant. Une transcription partielle, pour la seule filiation paternelle, a été admise par la Cour d’appel de Rennes dans un arrêt rendu le 7 mars 2016 (Rennes, 7 mars 2016, n°15/03855).

Le Ministère public continue de s’opposer à la transcription des actes de naissance étrangers d’enfants issus de GPA. Ce refus a donné lieu à la condamnation de la France encore très récemment dans les arrêts Foulon et Bouvet c/ France du 21 juillet 2016 et Laborie c/ France le 19 janvier 2017.

Cette condamnation de la France ne peut que faire écho à l’absolution de l’Italie, dont la Grande chambre de la Cour Européenne des Droits de l’Homme vient d’annuler la condamnation prononcée en première instance.

GPA à l’italienne

 

Deux personnes stériles avaient payé une femme pour qu’elle porte leur futur enfant, sans qu’aucun des deux ne contribuent par leurs gamètes à la conception de l’enfant. Dans la majorité des cas, au moins l’un des deux parents a un lien biologique avec l’enfant. Tel n’était pas le cas en l’espèce.

La Russie, pays favorable à la GPA, avait reconnu la filiation existant entre les parents et l’enfant désiré. Souhaitant faire transcrire cette filiation sur les registres de l’état civil italien, le couple s’était vu enlever leur enfant élevé pendant plus de six mois, par les autorités italiennes.

Dans un premier temps, l’Italie avait été condamnée pour violation du droit au respect à la vie privée. La Grande Chambre n’a pas suivi ce raisonnement, annulant la décision de condamnation rendue en première instance. Elle estime ainsi que l’éloignement de l’enfant né de gestation pour autrui ne violait pas le droit au respect à la vie privée, en l’absence de tout lien biologique entre les parents et l’enfant, la courte durée de la relation avec l’enfant et la précarité des liens juridiques entre eux et ce en dépit de l’existence d’un projet parental constaté et de la qualité des liens affectifs. La Grande Chambre en a conclu à l’absence de vie familiale entre les parents et l’enfant.

La Cour considère que les mesures adoptées par les autorités italiennes avaient pour but légitime la défense de l’ordre et la protection des droits et libertés d’autrui.

La volonté de l’Etat italien d’être le seul compétent pour reconnaître un lien de filiation est de ce fait légitimé par la protection des enfants.

Selon la Grande chambre un juste équilibre entre les intérêts en présence aurait été trouvé, l’enfant ne subissant par un préjudice grave ou irréparable du fait de la séparation. Les autorités italiennes auraient ainsi fait un juste usage de la marge d’appréciation mise à leur disposition en la matière.

Filiation biologique, filiation affective : les liaisons dangereuses de la Cour

 

Il ne sera pas question ici de se prononcer sur la légitimité ou non de la GPA. Toutefois, il est impossible de ne pas contester la motivation de la décision rendue.

Comment peut-on au XXIème siècle continuer à faire primer le lien biologique sur le lien affectif ?

Dans l’affaire italienne, la Cour elle-même a constaté l’existence d’un réel projet parental et le temps passé par l’enfant au sein de sa nouvelle famille. Six mois dans la vie d’un enfant n’est pas anodin, que ce soit pour les parents ou pour l’enfant lui-même qui ne peut rester intact après avoir été arraché à une famille au profit des services sociaux italiens, dont le travail n’est pas ici remis en question.

Où est l’intérêt de l’enfant dans cette décision ? Si la volonté de l’Etat est de sanctionner le recours à la Gestation pour autrui, d’autres moyens sont à sa disposition.

Cette décision n’a pas manqué de donner lieu à des opinions dissidentes communes :

« Si les liens biologiques entre ceux qui agissent en tant que parents et un enfant peuvent être une indication très importante quant à l’existence d’une vie familiale, l’absence de tels liens ne signifie pas nécessairement qu’il n’y en a pas ».

Aucune motivation ne permet en effet de justifier la violence d’un tel retrait de l’enfant. Les Etats doivent certes conserver une marge d’appréciation sur l’opportunité de favoriser ou non la GPA, mais jamais au détriment de l’intérêt de l’enfant.

De plus, il est étonnant de voir la France condamnée alors que les conséquences sont moins graves qu’en Italie, aucun éloignement physique avec les enfants n’ayant résulté du refus de transcrire leurs actes de naissance sur les registres de l’état civil français.

La différence d’approche de la cour envers les deux pays résulterait du fait que pour la décision à l’encontre des demandeurs italiens, les parents n’avaient aucun lien biologique avec l’enfant.

De ce fait, au regard de cet arrêt, les techniques de la procréation médicalement assistés constamment en évolution vont soulever à l’avenir des difficultés.

GPA, PMA même combat?

 

La différence résulterait des faits distincts entre les décisions rendues à l’encontre des deux pays, avec l’existence d’un lien biologique dans les décisions françaises et le défaut d’un tel lien dans l’arrêt italien ? Si tel est le cas, les techniques de la procréation médicalement assistée constamment en évolution vont soulever à l’avenir de grandes difficultés.

En effet, au Mexique un enfant est né de trois parents biologiques différents. Comment est-ce possible ? La technique employée qui n’est même pas autorisée aux Etats-Unis consiste à créer un embryon avec un noyau issu de la mère d’intention, une enveloppe d’une autre femme et le gamète du père. Le noyau est le seul à transmettre le patrimoine génétique. La mère porteuse d’une maladie mitochondriale ne pouvait avoir d’enfant non porteur de la maladie sans cette technique. Mais la question se pose de savoir qui est la mère ? Ici le lien biologique est supplanté par le lien génétique. De ce fait, si l’embryon n’est pas implanté dans le corps de la mère à l’origine du noyau, quel lien privilégier ? La femme qui accouchera aura un lien biologique mais pas génétique avec l’enfant. Ressurgira alors l’importance du lien affectif, du projet parental construit, de l’intérêt de l’enfant complètement bafoué aujourd’hui par la Grande Chambre de la Cour Européenne des Droits de l’Homme.

 

Sources :

 

« GPA : nouveau coup de semonce contre la France par la CEDH », RJPF n°3, 1er mars 2017

Questions-réponses sur l’arrêt Paradiso et Campanelli c. Italie – CEDH

Gestation pour autrui, Fiche thématique unité de la presse janvier 2017 – CEDH

« Mater semper certa est ? Never ever… », Laure de Saint-Pern, D.2017.2291

GPA (respect de la vie privée): prise en charge de l’enfant par les services sociaux », Patrice Le Maigat, D.2017.215