A travail égal, salaire égal – Actualisation

Trois récents arrêts rendus par la Cour de cassation le 5 juillet 2023 (n° 22-18.155 et 22-17.250) et le 11 octobre 2023 (n° 21-24.437) nous amènent à faire le point sur le thème de « A travail égal, salaire égal ».

En parallèle à l’accusation de discrimination, le salarié peut être amené à invoquer ce principe, auquel l’employeur n’est peut-être pas préparé à répondre.

Selon l’article L. 3221-4 du Code du travail relatif à l’égalité hommes/femmes, la notion de travail de valeur égale s’entend des « travaux qui exigent des salariés un ensemble comparable de connaissances professionnelles consacrées par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle, de capacités découlant de l’expérience acquise, de responsabilités et de charge physique ou nerveuse ».

Ainsi, si l’employeur peut librement déterminer des rémunérations différentes en fonction des compétences et capacités objectives de chacun, il est tenu d’assurer l’égalité de rémunération entre tous les salariés placés dans une situation identique.

 

  • L’administration de la preuve

En application de l’article 1315 du Code civil, il appartient au salarié qui invoque une atteinte à ce principe de soumettre au juge les éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de rémunération.

Le salarié doit apporter des éléments sous peine de se voir opposer le principe selon lequel le Juge n’a pas à suppléer la carence des parties dans l’administration de la preuve (article 6 du Code de Procédure Civile).

Il peut être aidé en cela par le Juge des référés sur le fondement de l’article 145 du Code de Procédure Civile (sous réserve qu’aucune procédure au fond ne soit engagée) ou les Conseillers du Bureau de Conciliation et d’Orientation, qui peut ordonner la remise de documents en application de l’article R. 1454-14 du Code du travail (pouvoir d’ordonner toute mesure d’instruction).

Il incombe ensuite à l’employeur de rapporter la preuve d’éléments objectifs justifiant cette différence (Cass. soc., 11 juin 2014, n° 13-11.674).

 

  • Les éléments objectifs susceptibles de justifier une différence de rémunération

Très souvent, l’employeur, confronté à une demande d’un salarié, ne sait opposer que les diplômes, l’expérience et l’ancienneté de ses collègues. Les juridictions ont un regard critique sur ces deux notions fourretout et bien commodes. Il convient ainsi de les manier avec précaution.

Encore faut-il en effet que ces trois critères justifient bien que les salariés occupent leur emploi différemment.

L’expérience professionnelle acquise auprès d’un précédent employeur ne peut justifier une différence de salaire qu’au moment de l’embauche. Il faut également qu’elle soit en relation avec les exigences du poste et les responsabilités réellement exercées.

En conséquence, une Cour d’appel ne saurait débouter un salarié de sa demande de rappel de salaires fondée sur le principe « A travail égal, salaire égal » en considérant que la différence de rémunération avec les autres techniciens auxquels il se comparait était justifiée soit par l’expérience professionnelle, soit par l’ancienneté ou la différence de diplômes, sans rechercher si l’expérience professionnelle et les diplômes invoqués par l’employeur étaient particulièrement utiles dans le domaine du service après-vente itinérant (Cass. soc., 31 octobre 2012, n° 11-20.986).

De même, une Cour d’appel ne pouvait débouter un salarié de sa demande de rappel de salaire en se fondant sur l’expérience professionnelle acquise précédemment par les salariés auxquels il se comparait alors que cet élément était inopérant pour justifier la progression salariale plus rapide de ces salariés (Cass. soc., 11 janvier 2012, n° 10-19.438).

Face à un travail de valeur égale en termes de charge et de responsabilité, les éléments objectifs invoqués par l’employeur, qui ont tous trait à la carrière antérieure à l’embauche, ne sont pas pertinents dès lors qu’aucune différence dans le niveau de performance ou des qualités professionnelles mises en œuvre n’est alléguée ou caractérisée, qu’aucune valeur ajoutée, de quelque nature que ce soit, effective ou susceptible de l’être dans un temps relativement proche de l’embauche et sur une période significative, n’est explicitée eu égard aux tâches confiées.

En conséquence, la différence de rémunération entre les deux salariés n’est pas justifiée (CA PARIS, 29 novembre 2005, n° 04-36565, 22ème Chambre B).

Au regard du principe « A travail égal, salaire égal »l’ancienneté ne saurait à elle seule justifier une différence de rémunération dès lors qu’elle donne lieu à l’allocation d’une prime distincte (Cass. soc., 21 janvier 2009, n° 07-40.609).

Cette règle vient d’être rappelée dans deux arrêt récents du 5 juillet 2023 (n° 22-18.155 et 22-17.250) :

« En statuant ainsi, alors qu’elle constatait que l’ancienneté des salariés était prise en compte par le versement d’une prime distincte du salaire de base, la cour d’appel a violé le principe susvisé »

La Cour de cassation a censuré la Cour d’appel qui avait relativisé l’importance de la prime d’ancienneté en opposant qu’elle ne prenait que très partiellement en compte l’ancienneté des salariés : « car si elle évolue dans un premier temps par période de deux ans, elle atteint un palier de 5 % du salaire de base à 10 ans d’ancienneté pour ne plus varier par la suite ».

Ainsi, dès lors que la prime vient récompenser l’ancienneté, au moins partiellement, elle ne peut plus servir à justifier une différence de rémunération de base, peu importe la limite de cette prime.

Un dernier critère peut aussi être invoqué par l’employeur, celui des diplômes. Toutefois, là encore, cela n’est pas suffisant. Encore faut-il démontrer que ces diplômes sont nécessaires à la parfaite réalisation des fonctions, qu’ils seraient exigés par la Convention Collective (Cass. soc., 10 novembre 2009, n° 07-45.528).

En conclusion, citons l’arrêt de la Cour de cassation du 11 octobre 2023 (n° 21-24.437).

A une cour d’appel qui opposait « que l’ancienneté, les qualifications et tâches confiées à ces salariés, notamment, sont très diverses et ne peuvent constituer une base adéquate de comparaison par rapport à la situation de la salariée », la Cour répond :

« En se déterminant ainsi, sans se livrer à une analyse comparée de la situation, des fonctions et des responsabilités de la salariée avec celles des quatre collègues auxquels elle se comparait, la cour n’a pas donné de base légale à sa décision »

 Ainsi donc, il ne suffit pas d’opposer ancienneté, diplômes, expérience professionnelle. La comparaison doit se faire sur les fonctions réellement exercées. En quoi ces critères démontreraient qu’un salarié occuperait ses fonctions différemment ? La nature des fonctions et la façon dont elles sont exercées doivent être au cœur de l’analyse. 

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Les différences de rémunération représentent un sujet extrêmement sensible, car elles peuvent alimenter des rancœurs, affecter l’investissement du salarié et représenter un risque financier lourd pour l’employeur. La politique salariale est un sujet qu’il faut aborder globalement, au-delà des demandes d’augmentation que les salariés peuvent faire individuellement.

 

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000047805326?init=true&page=1&query=22-18.155&searchField=ALL&tab_selection=all

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000047805325?init=true&page=1&query=22-17.250&searchField=ALL&tab_selection=all

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000048211053?init=true&page=4&query=&searchField=ALL&tab_selection=juri