Article 1226 du Code Civil et rupture du contrat de travail

Non application de l'article 1226 du Code Civil à la rupture du contrat de travail.

L'article 1226 du Code Civil stipule que lors de la résiliation unilatérale d’un contrat, il y a une obligation mettre en demeure le débiteur défaillant d’exécuter ses obligations dans un délai raisonnable. Le salarié qui prend acte de la rupture de son contrat de travail doit-il donc préalablement mettre en demeure son employeur d’exécuter le contrat de travail en adéquation avec ses obligations contractuelles ? La Cour de Cassation a répondu par la négative en rappelant que le contrat de travail est un contrat spécial avec une législation spécifique.
 

L’article 1226 du Code Civil et la prise d’acte de la rupture du contrat de travail : deux mondes qui s’ignorent.

  •  La prise d’acte de la rupture du contrat de travail, création jurisprudentielle, est un mode spécifique de rupture du contrat de travail.

En effet, les juges ont estimé que le salarié peut dans certaines circonstances être contraint par les agissements et le comportement de son employeur à mettre un terme à son contrat de travail.

Cette solution a été conçue comme une protection pour les salariés à l’encontre de manquements commis par leurs employeurs et qui rendraient la poursuite des relations contractuelles difficiles.

La prise d’acte est devenue un mode de rupture du contrat de travail au même titre que le licenciement et la démission.

L’employeur qui prend l’initiative de la rupture du contrat de travail doit obligatoirement passer par la procédure de licenciement ou proposer une rupture conventionnelle à son salarié. La démission quant à elle est une modalité de rupture du contrat réservée au seul salarié. S’agissant de la prise d’acte de rupture, elle se matérialise par une lettre envoyée par le salarié à son employeur, se plaignant des manquements de celui-ci et prenant acte de la rupture de son contrat de travail, rupture qui est immédiate et sans préavis.

La jurisprudence a donc défini les critères justifiant la prise d’acte de rupture faite par le salarié.

 

Dans trois arrêts rendus en assemblée plénière le 26 mars 2014, la Cour de Cassation a précisé la notion de manquement grave en jugeant que :

  •  La prise d'acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquement suffisamment grave de l'employeur empêchant la poursuite dudit contrat. Tel n'est pas le cas lorsque les manquements invoqués par le salarié à l'encontre de l'employeur sont anciens (1ère espèce) (Cass. soc. 26 mars 2014 n° 12-23.634 (n° 658 FP-PB), Candela c/ Sté Home Expertise center)
  •  Les manquements invoqués au soutien d’une demande de résiliation judiciaire (même raisonnement que pour la prise d’acte) doivent être de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail (2ème et 3ème espèce) ; (Cass. soc. 26 mars 2014 n° 12-35.040 (n° 663 FP-PB), Akrouti c/ Sté Armatis centre) ; (Cass. soc. 26 mars 2014 n° 12-21.372 (n° 661 FP-PB), Navarret c/ Mutuelle Union technique groupe Pyrénées Bigorre)

C’est la raison pour laquelle les juges utilisent généralement comme indice de la gravité du comportement de l’employeur le délai que le salarié va laisser passer entre la commission des faits et sa prise d’acte.

Il n’y a aucun formalisme imposé mais la prise d’acte doit à tout le moins résulter d’un écrit remis à l’employeur, listant l’ensemble des manquements que le salarié formule à son encontre et qui rendent la rupture imputable à l’employeur.

Au travers de sa prise d’acte, le salarié indique qu’il entend que la rupture soit considérée comme étant exclusivement imputable à son employeur.

C’est cet écrit que le juge appréciera lors de la saisine des juridictions prud’hommales par le salarié afin d’obtenir notamment le dédommagement du préjudice subi.

Si elle est justifiée, la prise d’acte de la rupture à l’initiative du salarié produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. S’il s’avère que les manquements ne sont pas établis ou ne sont pas suffisamment graves pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail, les effets seront ceux d'une démission.
 

L’article 1226 du Code Civil devait-il être appliqué au salarié qui prend acte de la rupture de son contrat de travail ?

  •  Dans un avis très récent en date du 3 avril 2019, la Chambre Sociale de la Cour de Cassation a été saisie de la question de savoir si l’article 1226 du Code Civil devait être appliqué au salarié qui prenait acte de la rupture de son contrat de travail.

En l’espèce, l’article 1226 du Code Civil impose préalablement à la résiliation unilatérale d’un contrat de mettre en demeure le débiteur défaillant d’exécuter ses obligations dans un délai raisonnable. Cette mise en demeure doit expressément attirer l’attention du débiteur sur la conséquence d’une non-exécution de sa part qui conduirait le créancier à rompre unilatéralement le contrat.

La question était donc de savoir si le salarié qui prend acte de la rupture de son contrat de travail doit préalablement mettre en demeure son employeur d’exécuter le contrat de travail en adéquation avec ses obligations contractuelles.

Autrement dit l’employeur devait-il être alerté avant de subir les conséquences d’une prise d’acte ?

 

La Cour de Cassation dans son avis nous répond par la négative :
« Les modes de rupture du contrat de travail, à l’initiative de l’employeur ou du salarié, sont régis par des règles particulières et emportent des conséquences spécifiques, de sorte que les dispositions de l’article 1226 du Code Civil ne leur sont pas applicables. »

Dans cet avis succinct mais limpide la Cour de Cassation réaffirme la spécificité du contrat de travail, qui, s’il reste un contrat n’en demeure pas moins un contrat « spécial », qui justifie l’application d’une législation spécifique.

En effet, le contrat de travail est perçu comme un contrat déséquilibré par nature, le postulat de départ étant que le salarié est en position de faiblesse dès lors qu’il offre sa force de travail à un employeur qui détient un pouvoir de subordination à son égard.

Cependant, il convient de relever que le Code du Travail reprend un grand nombre de disposition du Code Civil notamment concernant l’obligation de bonne foi et de loyauté au cours de l’exécution du contrat, obligations reprises par la jurisprudence pour régler un conflit portant sur l’exécution d’un contrat de travail.

A titre d’exemple, on peut citer une espèce au cours de laquelle une jeune femme avait obtenu une promesse d’embauche pour un poste de cadre santé formateur au sein de l’association Croix Rouge Française. Après avoir pris des renseignements auprès de ses anciens employeurs, la Croix Rouge a rétracté sa promesse d’embauche. La candidate avait alors saisi la juridiction Prud’hommale qui a jugé que celle-ci avait menti sur ses expériences professionnelles et dès lors en l’application de l’article 1116 du Code Civil, portant sur la théorie des vices du consentement et ici sur le dol, a prononcé la nullité de la promesse d’embauche et a rejeté les demandes de la salariée. Ce jugement a été confirmé en appel. (CA de Bordeaux, 29 janvier 2013, n° 12/01784)

Dans une autre espèce, les juges ont également fait application de la théorie des vices du consentement issue du Code civil en l’appliquant à la rupture conventionnelle. La rupture conventionnelle résulte de la volonté commune du salarié et de l’employeur de mettre fin à la relation de travail. Dès lors que le salarié prouve l’existence d’une fraude ou d’un vice de son consentement l’ayant contraint à signer la convention de rupture conventionnelle, celle-ci est entachée de nullité.

Ainsi, le juge adapte bien dans certaines circonstances la règle civile aux besoins et à la spécificité du monde du travail.  L’application de certaines règles du Code Civil au contrat de travail démontre une perméabilité entre le droit civil et le droit du travail, dès lors que ces règles civilistes ne sont pas contraires à un principe spécifique du droit du travail.

L’affirmation très générale de la Cour de Cassation selon laquelle, dès lors que des règles spécifiques régissent le contrat de travail, l’article 1266 du Code Civil ne lui serait pas applicable, est donc contestable. Le fait de refuser l’application de l’article 1226 du Code Civil au contrat de travail et à sa rupture, participe de cette volonté de protection du salarié. Ce dernier peut rompre le contrat aux torts de l’employeur sans même devoir le mettre en demeure au préalable.

Cette position peut laisser perplexe car l’employeur n’est pas à l’abri d’une erreur comptable et de gestion de la paye.

S’il est normal que le salarié qui subit des agissements anormaux et volontaires de son employeur, puisse unilatéralement rompre la relation de travail. Néanmoins, le fait de lui permettre la rupture du contrat dans ces conditions en invoquant des torts de son employeur sans que celui-ci ne soit préalablement prévenu, peut laisser la porte ouverte à des situations injustes.

Nous pouvons faire un parallèle avec la procédure de licenciement au cours de laquelle le salarié est convoqué à un entretien préalable afin de s’expliquer sur les faits qui lui sont reprochés. Il n’y a pas de procédure équivalente en cas de faits reprochés par le salarié à son employeur qui ne peut s’expliquer avant la rupture.

Cet avis de la Cour de Cassation ne laisse aucun droit à l’erreur à l’employeur, le salarié pouvant prendre l’initiative de la rupture sans même lui laisser une chance de régulariser la situation afin de revenir dans la légalité.

Or, cela ne va pas dans le sens de l’esprit législatif qui souffle ces derniers temps. Par exemple, la réforme MACRON du droit du travail permet à l’employeur qui licencie son salarié de compléter sa lettre de licenciement dans les 15 jours de sa notification s’il y décèle des insuffisances. Il y a donc une volonté de limiter les conflits et d’apaiser les relations salarié/employeur.

Il est dommage que l’avis rendu par la Cour de Cassation puisse aboutir à un effet inverse.

Florence Mercadé-Choquet