Juridictions d’exception et Etat d’urgence – Partie 2

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Suite de notre dossier sur les juridictions d’exception et Etat d’urgence pour mieux comprendre notre actualité.

La guerre d’Algérie : la mise en place de l’état d’urgence

Suite à une insurrection menée par le Front de la Libération National (FLN) durant la guerre d’Algérie, a été créé un régime d’exception : l’état d’urgence. Ce régime est entré en vigueur à travers la loi du 3 avril 1955 et a été créé en tant que palliatif « au manque de possibilités fournies par l’arsenal législatif ».

L’état d’urgence permet d’instaurer l’assignation à résidence, le couvre-feu, d’interdire les réunions, de fermer les salles de spectacle ou les cafés, de procéder à des perquisitions de nuit (sans contrôle judiciaire) ou encore de contrôler la presse et la radio.

L’état d’urgence étant une variante des juridictions d’exception, son application a supposé tant des mesures tenant à la sécurité et au contrôle (ex : instauration d’un couvre-feu) que des mesures liées à la justice, tel que la mise en place de nombreuses juridictions d’exception :

 

  • Le Haut Tribunal militaire :

Cette juridiction d’exception a été créée par une décision du Président de la République (le Général de Gaulle) en application de l’article 16 de la Constitution pour juger « les auteurs et complices de crimes et délits contre la sûreté de l’Etat et contre la discipline des armées ainsi que les infractions connexes commises en relation avec la guerre d’Algérie ». Les accusés y étaient déférés par décret. Le Haut Tribunal militaire était composé de quatre magistrats civils, quatre officiers généraux, ainsi que le général chancelier de l’Ordre de la Légion d’honneur. En mai et juin 1961, ce tribunal a jugé deux des auteurs du putsch d’Alger, les généraux Challe et Zeller, les condamnant à 15 ans de détention criminelle.

 

  • La Cour de sûreté de l’Etat :

Cette Cour jugeait des militants qui étaient considérés comme étant des « ennemis intérieurs ». Ces derniers étaient ainsi pris pour cible par l’Etat qui avait, entre autres, mis en place de nombreuses mesures à l’encontre des activistes radicaux (jugement des militaires de carrières, détentions et gardes à vue prolongées, ou encore des examens psychiatriques qui avaient pour but de démontrer que ces militants étaient des êtres anormaux). Il s’agissait ainsi d’une lutte contre les partisans de l’Algérie française.

Cette juridiction d’exception voulue par le Général De Gaulle à la fin de la guerre d’Algérie pour réprimer l’OAS, a été instaurée par deux lois votées en février 1963 par le Parlement et le Sénat. Ce tribunal spécial, bras judiciaire du chef de l’Etat, possédait toutes les caractéristiques des juridictions d’exception traditionnellement utilisées en France contre des « ennemis intérieurs » : elle jugeait plus sévèrement des crimes ou des délits politiques et autorisait des pratiques policières et pénitentiaires d’exception (garde à vue de quinze jours en cas d’état d’urgence, détention de longue durée…).

 

L’application de l’Etat d’urgence

 

La guerre d’Algérie

1958 : le 17 mai 1958 l’état d’urgence est voté par le Parlement pour un délai de trois mois sur proposition du gouvernement de Pierre Pflimlin en raison du coup d’Etat du 13 mai 1958 à Alger.  Finalement son application aura pour terme le 1er juin (date de la démission du gouvernement de Pierre Pflimlin).

1961 : suite à la tentative de coup d’Etat menée par une partie des militaires de carrière de l’armée française (Le putsch des généraux) à Alger, l’état d’urgence est appliqué à partir du 23 avril 1961 par le Président de la République sur l’ensemble du territoire métropolitain français. L’application de ce régime est accompagnée par la prise de pouvoirs exceptionnels du Général de Gaulle (en vertu de l’article 16 de la Constitution de la Vème République) du 23 avril au 29 septembre 1961. L’état d’urgence sera prorogé plusieurs fois jusqu’au 31 mai 1963, sans contrôle parlementaire.

 

Le cas de la Nouvelle-Calédonie (1984-1985)

A la fin de l’année 1984 c’est également une situation coloniale qui sera à l’origine d’une nouvelle application de l’état d’urgence. Celle-ci aura lieu en Nouvelle-Calédonie en raison des nombreuses violences qui ont lieu sur ce territoire à l’encontre de militants Kanaks. Au début de l’année 1985 c’est Eloi Macharo, un partisan de la lutte armée kanake, qui est tué par un gendarme du GIGN : Nouméa s’embrase. C’est la raison pour laquelle Edgar Pisani, haut-commissaire de la République, proclame l’état d’urgence : un couvre-feu est établi et les manifestations sont interdites. Ce n’est qu’au mois de juin 1985 que l’état d’urgence sera levé.

 

Les émeutes urbaines de 2005

Afin de mettre fin aux émeutes dans les banlieues de l’Ile de France, le président de la République de l’époque, Jacques Chirac, avait mis en œuvre en 2005 l’état d’urgence par décret en Conseil des ministres. L’application de ce régime avait fait l’objet de nombreuses polémiques puisqu’il s’agissait de violences urbaines (ce qui n’est en rien comparable avec la guerre d’indépendance menée par l’Algérie). L’application de l’état d’urgence en 2005 illustre le fait que celui-ci n’a plus uniquement vocation à répondre à des situations de décolonisation.

 

Les attentats de Paris (13 novembre 2015)

Suite à une série de fusillades et d’attaques terroristes perpétrées dans la soirée du 13 novembre 2015 à Paris et dans sa périphérie, l’état d’urgence est décrété par le Président de la République sur l’ensemble du territoire français. Le gouvernement, « face à la menace terroriste » a présenté en février en Conseil des ministres un projet de loi prolongeant de trois mois l’état d’urgence, projet qui a été adopté par les Assemblées parlementaires et par la Commission des lois.

L’Etat d’urgence devrait s’interrompre fin mai 2016.

 

Florence MERCADE-CHOQUET

Avocate Associée du cabinet LMC Partenaires