La liberté religieuse au travail : les restrictions du rapport Badinter

La liberté religieuse au travail

Le 25 janvier 2016, l’ancien Garde des Sceaux, Robert BADINTER a rendu son rapport au Premier ministre Manuel VALLS en y introduisant les « principes essentiels » sur lesquels le nouveau Code du travail devra s’appuyer à la fin de l’année 2017.

Ce rapport comprend 61 articles, dont l’un prévoit de réformer la liberté religieuse du salarié sur son lieu de travail.

En effet, l’article 6 du rapport dispose que « La liberté du salarié de manifester ses convictions, y compris religieuses, ne peut connaitre de restrictions que si elles sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et de droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché ».

Cette disposition fait écho à l’article L 1121-1 du Code du Travail qui consacre le droit au respect des droits et libertés dans l’entreprise en prévoyant que « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. »

 

 liberté religieuse au travail : les fondements

La justification de ces restrictions se fonde sur les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise qui peut être appréhendée par divers exemples jurisprudentiels antérieurs à ce rapport (tel qu’une demande de renoncement à certains usages religieux en raison de l’obligation de sécurité ou encore la sanction du refus d’un salarié de serrer la main à une femme en raison de la perturbation que cela pourrait créer au sein d’un service).

Mais l’article 6 du rapport Badinter va au-delà de ces restrictions en précisant que leur justification peut ne plus porter sur la nature de la tâche que doit accomplir le salarié mais sur l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux.

Dès lors, les limites que l’employeur a la faculté d’imposer à son salarié en termes de manifestation de ses convictions religieuses n’a plus pour fondement juridique l’exécution de sa prestation de travail par le salarié mais le respect de droits et libertés consacrées par des textes supra-législatifs.

La commission Badinter semble ainsi donner une place au principe de laïcité dans le Code du Travail ce qui constituerait une réelle nouveauté en droit social car ce principe ne s’applique pas dans le domaine privé alors même que les services publics sont soumis à ce principe de neutralité.

Néanmoins, l’employeur devra continuer à tolérer les pratiques religieuses de ses salariés en possédant uniquement la faculté d’y astreindre certaines limites qui seront soumises à interprétation jurisprudentielle : si la liberté religieuse se heurte à la liberté d’expression à partir de quel niveau le juge sanctionnera-t-il, ou non, la restriction apportée par l’employeur? Le respect de quelle liberté fondamentale prévaudra-t-il davantage sur un autre?

Il existe ainsi une certaine marge d’interprétation qui, on l’espère, ne sera pas synonyme d’insécurité juridique (car cela irait à l’encontre de la réforme du Code du travail qui se voudrait moins complexe) tout comme l’article 9 du rapport Badinter (relatif à la conciliation entre vie professionnelle et vie de famille) en raison « du champ d’interprétation considérable » qui sera laissé à la jurisprudence concernant ces deux principes du droit du travail.

Cet article 6 du rapport sur le sujet de la religion ne fait que reprendre les dispositions de l’article L 1121-1 du Code du Travail tout en apportant des précisions sur les restrictions qui peuvent être apportées à ces questions religieuses conformément au droit de l’Union européenne.

Cette ouverture sur la confrontation des libertés, repose essentiellement sur l’affaire Eweida et autres contre Royaume-Uni , rendu par la Cour européenne des droits de l’homme le 15 janvier 2013. La CEDH avait été saisie par quatre salariés qui avaient été sanctionnés, par leurs employeurs respectifs, pour avoir porté une croix chrétienne sur leur lieu de travail ou pour avoir refusé de s’acquitter de certaines tâches dont ils considéraient qu’elles revenaient à reconnaitre l’homosexualité.

La Cour avait estimé que « la liberté de religion garantie par l’article 9 de la Convention implique la liberté de manifester sa religion, y compris sur le lieu de travail ». Toutefois, lorsque « la pratique religieuse d’un individu empiète sur les droits d’autrui, elle peut faire l’objet de restrictions ».

L’article 6 du rapport Badinter semble donc s’être fortement inspiré, pour partie, de cette solution. Il reste à voir comment celle-ci s’appliquera et comment les restrictions liées à la confrontation de l’exercice de plusieurs libertés seront appréciées par les juges.

 

Florence MERCADE-CHOQUET

Avocate Associée du cabinet LMC Partenaires