LA RECEVABILITE DES ELEMENTS DE PREUVE OBTENUS DE MANIERE ILLICITE PAR L’EMPLOYEUR

Par deux arrêts rendus en 2024, la chambre sociale de la Cour de cassation a poursuivi son travail de pédagogie sur les conditions de recevabilité aux prud’hommes d’éléments de preuve obtenus de manière illicite par l’employeur.

I. La position de la Cour de cassation

Dans la première affaire (Cass. soc., 14 février 2024, n°22-23.073), l’utilisation par une pharmacie de caméras de vidéosurveillance, dont la mise en place n’avait pas été préalablement portée à la connaissance des salariés, avait permis de constater plusieurs fautes graves commises par une salariée (saisie d’une quantité de produits inférieure à ceux réellement vendus, vente de produits à des prix inférieurs au prix de vente, absence d’enregistrement de vente de produits délivrés au client). Cette preuve avait justifié le licenciement pour faute grave de la salariée concernée.

Saisie une première fois de cette affaire en 2021, la chambre sociale avait considéré que ce mode de preuve n’était pas recevable car obtenu de manière illicite et avait cassé l’arrêt rendu par la chambre d’appel. A la suite d’une résistance de la chambre d’appel de renvoi dans une autre composition, l’affaire revenait devant la chambre sociale sur pourvoi formé par la salariée.

Considérant que les données de la bande de vidéosurveillance étaient indispensables à l’exercice du droit à la preuve de l’employeur, la Cour de cassation a considéré recevable cette preuve obtenue de manière illicite et donné raison à la position de la chambre d’appel de renvoi.

Dans la seconde affaire (Cass. soc., 25 septembre 2024, n°23-13.992), une salariée avait fait l’objet d’un licenciement pour faute grave au motif qu’elle avait copié sur plusieurs clés USB de nombreux fichiers confidentiels de l’entreprise, auxquels elle n’avait pas accès dans le cadre de ses fonctions. L’employeur avait obtenu la preuve de cette faute en consultant l’une des clés USB personnelles de la salariée, non connectée à l’ordinateur professionnel de cette dernière et sans sa présence. Rappelons que la Cour de cassation avait déjà jugé qu’une clé USB connectée à un outil informatique était présumée être utilisée à des fins professionnelles, justifiant que l’employeur puisse consulter son contenu (Cass. soc., 12 février 2013, n° 11-28.649).

Une nouvelle fois, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par la salariée en considérant que la production par l’employeur du contenu des clés USB personnelles du salarié était recevable, quand bien même cette preuve avait été obtenue de manière illicite.

II. Les enseignements

A travers ces décisions la Cour de cassation a opéré une mise en balance le droit de la preuve protégé par l’article 6§1 de la Convention européenne des droits de l’Homme et des libertés fondamentales et l’article 9 du Code de procédure civile d’une part, et les droits antinomiques des parties d’autre part.

Comme explicité dans la motivation des décisions, la Haute juridiction examine si la production en justice par l’employeur de la preuve illicite était indispensable à l’exercice de son droit de la preuve, et si l’atteinte au droit au respect de la vie privée du salarié était strictement proportionnée au but poursuivi.

Faisant application de ce raisonnement, la chambre sociale en a déduit que la production de ces preuves illicites était dans ces deux espèces l’unique moyen pour l’employeur de démontrer la faute grave du salarié et cette production était strictement proportionnée au but légitime (le droit de veiller à la protection des biens et le bon fonctionnement de l’entreprise).

La chambre sociale de la Cour de cassation interprète ainsi favorablement au droit de la preuve l’article L. 1121-1 du Code du travail qui dispose que « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. »

La chambre sociale recommande aux juridictions de fond d’analyser la recevabilité de la preuve illicite en trois temps :

1. S’interroger sur la légitimité du contrôle opéré par l’employeur,
2. Rechercher si l’employeur ne pouvait pas atteindre un résultat identique en utilisant d’autres moyens plus respectueux de la vie privée du salarié,
3. Apprécier le caractère proportionné de l’atteinte ainsi portée à la vie privée au regard du but poursuivi.

Cette évolution est salutaire pour l’employeur et la défense de ses intérêts légitimes.