L’acquisition de jours de congés pendant les périodes d’arrêt – nouvelle jurisprudence

La Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence lourd de conséquences dans la règle d’acquisition des congés payés pendant les périodes d’arrêt maladie

 

Cass. soc., 13 septembre 2023, n° 22-17.340

Cass. soc., 13 septembre 2023, n° 22-17.638

 

  • Les dispositions nationales et européennes en cause

L’article L. 3141-3 du Code du travail :

 Le salarié a droit à un congé de deux jours et demi ouvrables par mois de travail effectif chez le même employeur.

La durée totale du congé exigible ne peut excéder trente jours ouvrables.

L’article L. 3141-5 du Code du travail :

 Sont considérées comme périodes de travail effectif pour la détermination de la durée du congé :

1° Les périodes de congé payé ;

2° Les périodes de congé de maternité, de paternité et d’accueil de l’enfant et d’adoption ;

3° Les contreparties obligatoires sous forme de repos prévues aux articles L. 3121-30, L. 3121-33 et L. 3121-38; 

4° Les jours de repos accordés au titre de l’accord collectif conclu en application de l’article L. 3121-44; 

5° Les périodes, dans la limite d’une durée ininterrompue d’un an, pendant lesquelles l’exécution du contrat de travail est suspendue pour cause d’accident du travail ou de maladie professionnelle ;

6° Les périodes pendant lesquelles un salarié se trouve maintenu ou rappelé au service national à un titre quelconque.

En France, le droit à congés payés repose sur la notion de travail.

L’article 7 de la Directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 :

  1. Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d’un congé annuel payé d’au moins quatre semaines, conformément aux conditions d’obtention et d’octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales.
  2. La période minimale de congé annuel payé ne peut être remplacée par une indemnité financière, sauf en cas de fin de relation de travail.

 

La règle est qu’une Directive européenne, pour être appliquée dans un litige entre particuliers, doit faire préalablement l’objet d’une transposition dans le droit national, à la différence du Règlement européen qui, lui, est d’application directe. Ce n’est que lorsque l’employeur est un organisme ou une entité, soumis à l’autorité/au contrôle de l’Etat, que le juge national peut faire une application directe des Directives.

Selon les dispositions de l’article 31§2 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne :

 Tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu’à une période annuelle de congés payés.

Dans l’Union européenne, le droit à congés payés repose sur la qualité de travailleur.

  • L‘état de la jurisprudence jusqu’à ces deux arrêts

Jusqu’ici :

  • Pendant les périodes d’arrêts maladie simple : pas d’acquisition de CP,
  • Pendant les périodes d’arrêts maladie AT ou MP : acquisition mais dans la limite d’un an.

La Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE) avait pourtant jugé le 24 janvier 2012 que les dispositions précitées s’opposaient à  ce que des textes nationaux ou pratiques nationales prévoient que le droit à CP soit subordonné à une période de travail effectif minimale pendant une période de référence (dans le cas d’espèce, la Cour de cassation en avait tiré les conséquences en assimilant, pour l’acquisition de CP, un salarié en arrêt pour accident de trajet à un salarié en arrêt pour accident du travail).

  • Un revirement de taille

La Directive n’établit pas de distinction entre un salarié absent pour maladie et un salarié travaillant effectivement. Il y a, pour tous les deux, acquisition de CP.

Mais tant que le législateur ne modifiait pas les articles L. 3141-3 et L. 3141-5 du Code du travail, la Directive ne pouvait pas être appliquée. Le droit restait donc inchangé.

Lassées par l’inaction du législateur, malgré ses rapports annuels successifs, et confrontée à une non-conformité du droit national, la Cour de cassation, ne pouvant interpréter le droit contra legem, a tout bonnement décidé de laisser inappliquées les dispositions non conformes.

Dès lors, elle ne subordonne pas l’acquisition de CP à l’exécution d’un travail effectif (arrêt maladie simple) et ne limite plus à un an la période d’acquisition.

Enfin, elle va plus loin. Si le droit européen consacre un droit annuel à 4 semaines de CP, le principe de non-discrimination impose d’appliquer ce revirement aux 5 semaines légales de CP ainsi qu’aux CP conventionnels.

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Attention donc, en cas d’arrêts maladie longue durée, le nombre de CP acquis pourrait être très important au retour du salarié et, pour le cas où cela aboutirait à une inaptitude/impossibilité de reclassement, le solde de tout compte pourrait être salé. Il faut provisionner. Attention également aux  périodes de références antérieures : elles pourraient donner lieu à régularisation.