LE DROIT DISCIPLINAIRE EN DEHORS DU TEMPS DE TRAVAIL

Le comportement du salarié au volant d’un véhicule de la société en dehors des heures de travail peut-il être sanctionné ?

Arrêt du 4 octobre 2023, n° 21.25-421

 

Un salarié engagé en qualité de Mécanicien commet plusieurs infractions au Code de la route (excès de vitesse). Il est au volant d’un véhicule de service. Il est licencié pour cause réelle et sérieuse.

En 1ère instance, le salarié est débouté de sa demande de requalification en licenciement sans cause réelle et sérieuse. Il interjette appel. Par arrêt du 14 octobre 2021, la Cour d’appel de VERSAILLES juge que les faits reprochés au salarié, d’excès de vitesse commis avec un véhicule de service sur les temps de trajets, relèvent de la vie privée et ne pouvaient donc être sanctionnés.

« La cour observe que l’outil de travail mis à la disposition n’a subi aucun dommage, que le comportement certes fautif de Monsieur …  au regard des règles du code de la route n’a pas eu d’incidence sur les obligations découlant de son contrat de travail en tant que mécanicien, qu’il a fait l’objet des sanctions réglementaires énoncées à l’article R. 413-4 et suivants du Code de la route.

 En conséquence de ces éléments le jugement du Conseil de prud’hommes doit être infirmé en ce qu’il a retenu la cause réelle et sérieuse du licenciement ».

 La société s’est pourvue en cassation.

Entre temps, le 19 janvier 2022, la Cour de cassation a été amenée à préciser sa position sur la question évoquée (n° 20-19.742) :

« La cour d’appel a relevé que les faits visés dans la lettre de licenciement, dont le salarié ne contestait pas la matérialité, avaient été commis, alors qu’il conduisait sous l’empire d’un état alcoolique son véhicule de fonction, au retour d’un salon professionnel, où il s’était rendu sur instruction de son employeur, de sorte que les faits reprochés se rattachaient à la vie professionnelle du salarié ».

 Un salarié revenant en état d’ébriété d’un salon professionnel avait eu un accident au volant de son véhicule de fonction. Dans cette affaire, trois éléments avaient permis à la Cour de relier les faits reprochés au salarié à sa vie professionnelle :

  • il était au volant de son véhicule de fonction,
  • il rentrait d’un salon professionnel,
  • et il s’était rendu à ce salon sur instruction de son employeur, pour les besoins de son activité professionnelle.

La Cour n’est pas allée sur le terrain de la violation d’obligations du contrat de travail mais sur le rattachement des faits avec la vie professionnelle.

Dans le cas, objet de l’arrêt de la Cour de cassation du 4 octobre 2023, ces trois critères étaient présents :

  • le salarié était au volant d’un véhicule de la société (pour plus de précision, contrairement à ce qu’écrit la Cour, il s’agissait d’un véhicule de service),
  • le salarié se rendait sur un chantier,
  • pour les besoins de son activité professionnelle et sur instructions de son employeur.

Aussi, la société avait-elle des arguments à défendre en cassation, en estimant que l’on pouvait rattacher ces manquements à la vie professionnelle.

Absolument pas selon la Cour. Elle déboute la société estimant entre autres qu’elle n’avait à déplorer aucun dommage.

« La cour d’appel a constaté, d’abord, que les infractions au code de la route avaient été commises durant les temps de trajet durant lesquels le salarié n’était pas à la disposition de l’employeur et, ensuite, que l’outil de travail mis à sa disposition n’avait subi aucun dommage et que le comportement de l’intéressé n’avait pas eu d’incidence sur les obligations découlant de son contrat de travail en tant que mécanicien;

De ces constatations et énonciations, dont il ressortait que les infractions au code de la route ne pouvaient être regardées comme une méconnaissance par l’intéressé de ses obligations découlant de son contrat, ni comme se rattachant à sa vie professionnelle, la cour d’appel a exactement déduit que ces faits de la vie personnelle ne pouvaient justifier un licenciement disciplinaire ».

 Ainsi, pour sanctionner des faits commis en dehors du temps de travail, il faut :

  • soit rattacher les faits à la vie professionnelle,
  • soit démontrer la violation d’obligations découlant du contrat de travail.

Dans le 1er cas, la Cour semble exiger en plus des trois conditions de l’arrêt du 19 janvier 2022, l’existence d’un dommage. Ceci est surprenant car le rattachement ne se ferait donc pas en fonction de la nature du manquement mais de ses conséquences. Et cela supposerait que l’on ne pourrait pas sanctionner un comportement dangereux susceptible de causer un dommage. Il faudrait attendre le dommage.

Dans le second, il faut démontrer la violation d’une obligation de sécurité, voire de loyauté.

Par touches successives, la Cour précise sa position, laissant le justiciable découvrir ses exigences, au gré des affaires qui lui sont soumises.

https://www.courdecassation.fr/en/decision/651d00f7fe8d588318c1ac02