L’indemnisation du préjudice né de la rupture de la période d’essai jugée nulle

Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 25 juin 2025, n° 23-17.999, Publié au bulletin

« Le salarié dont la rupture de la période d’essai est nulle pour motif discriminatoire ne peut prétendre à l’indemnité prévue en cas de licenciement nul mais à la réparation du préjudice résultant de la nullité de cette rupture. »

Une salariée s’est vu notifier la fin de sa période d’essai, alors même qu’elle était en arrêt maladie. Elle a saisi la juridiction prud’hommale et a formulé des demandes indemnitaires au titre de la nullité de la rupture de son contrat de travail pour discrimination à raison de son état de santé.

Statuant dans son sens, la cour d’appel a retenu que la salariée présentait des éléments laissant supposer l’existence d’une discrimination, puisque l’employeur ne démontrait pas que sa décision de rompre la période d’essai était justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Elle en a tiré les conséquences que la décision de l’employeur de rompre la période d’essai était nulle.

Elle n’a toutefois pas condamné l’employeur au versement d’une indemnité pour licenciement nul équivalente aux salaires des six derniers mois, mais à 5.000 euros de dommages-intérêts.

Saisi d’un pourvoi formé par la salariée, la chambre sociale de la Cour de cassation a été amenée à s’interroger sur la problématique juridique suivante :  le salarié dont la rupture de la période d’essai est nulle pour motif discriminatoire peut-il prétendre à l’indemnité prévue en cas de licenciement nul ?

La Cour de cassation a répondu par la négative en considérant que c’est à bon droit que la salariée ne pouvait prétendre qu’à des dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de cette rupture dont le juge du fond en a souverainement fixé le montant.

I.    Le refus d’application des dispositions de l’article L.1235-3-1 du Code du travail à la rupture de la période d’essai jugée nulle

Il résulte de la combinaison des articles L. 1132-1 et L. 1132-4 du Code du travail que toute embauche, exécution, sanction ou rupture du contrat de travail fondée sur une discrimination, notamment à raison de l’état de santé du salarié est nulle.

L’article L.1235-3 du Code susvisé fixe les montants minimums et maximums de l’indemnité qu’un employeur peut être condamné à verser au salarié dont le licenciement est jugé sans cause réelle ni sérieuse, sans réintégration. Toutefois, lorsqu’un licenciement est jugé nul, l’article L.1235-3-1 déroge à cette règle et dispose que lorsque le salarié ne sollicite pas la poursuite de l’exécution de son contrat de travail ou sa réintégration, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l’employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Pour écarter l’application de cet article L.1235-3-1 à la présente affaire, la Haute juridiction de l’ordre judiciaire rappelle que les dispositions relatives à la rupture du contrat de travail à durée indéterminée ne sont pas applicables à la période d’essai (article L.1231-1 du Code du travail). Ce principe s’applique de manière similaire à la période d’essai d’un contrat à durée déterminée (article L.1242-11 du Code du travail).

La salariée avait pourtant invoqué l’application de la directive n° 2000/78/CE du 27 novembre 2000 dont l’article 17 énonce que « Les sanctions {d’une situation de discrimination} qui peuvent comprendre le versement d’indemnité à la victime, doivent être effectives, proportionnées et dissuasives. ».

Dans le présent arrêt, la Cour de cassation écarte l’application de la directive en invoquant le périmètre du texte visé par son article 1er : « établir un cadre général pour lutter contre la discrimination fondée sur la religion ou les convictions, l’handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle, en ce qui concerne l’emploi et le travail, en vue de mettre en œuvre, dans les États membres, le principe de l’égalité de traitement ». La chambre sociale considère ainsi que cette directive n’est pas applicable au cas de discrimination à raison de l’état de santé.

II.    Une décision s’inscrivant dans la continuité jurisprudentielle de la chambre sociale

Cette décision de la chambre sociale ne surprend guère. Elle s’inscrit dans le fil de sa jurisprudence. Le principe de nullité de la rupture d’une période d’essai fondée sur un motif discriminatoire n’est pas remis en question (Cass. soc., 16 février 2005, n° 02-43.402).

La Cour de cassation a déjà jugé que la rupture nulle, car discriminatoire, de la période d’essai n’ouvre pas droit à l’indemnité compensatrice de préavis (Cass. soc., 12 septembre 2018, no 16-26.333).

La Haute juridiction a considéré que les dispositions de l’article L. 1235-3-1 ne s’appliquent pas la rupture de la période d’essai intervenue en violation de la protection d’un salarié protégé au titre des maladie/accident professionnels (Cass. soc., 9 janvier 2019, no 17-31.754).

Sur la question de la réintégration. En cas de nullité de la rupture de la période d’essai, la réintégration du salarié doit être ordonnée s’il le demande et la rupture jugée nulle doit être considérée comme n’avoir jamais existé (Cass. soc., 30 avril 2003, n° 00-44.811). Cela ne résulte pas des dispositions de l’article L. 1235-3-1 mais de la définition de la nullité même. La Cour a considéré que le salarié qui demande sa réintégration après une rupture de période d’essai jugée nulle pour discrimination liée à l’état de santé a droit à une indemnité égale au montant de la rémunération qu’il aurait dû percevoir entre son éviction et sa réintégration, peu important qu’il ait ou non reçu des salaires ou revenus de remplacement pendant cette période (Cass. soc., 27 septembre 2023, n° 21-22.449).

En conséquence de ce raisonnement, la Cour de cassation confirme ainsi que la Cour d’appel, laquelle, considérant que la rupture de la période d’essai était fondée sur un motif discriminatoire, en a justement déduit que la demande indemnitaire de la salariée au titre de la nullité de cette rupture ne pouvait reposer sur les dispositions de l’article L. 1235-3-1.

La salariée ne pouvait ainsi prétendre qu’à des dommages-intérêts dont le montant était souverainement fixé par les juges du fond.

A noter que :

  • Dans cette espèce, la salariée n’avait pas demandé sa réintégration,
  • La solution aurait peut-être été différente si le motif de discrimination avait été autre que celui de l’état de santé.