Ne peut pas être admis en justice l’enregistrement de l’entretien avec le CHSCT (comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) réalisé à l’insu de ses membres dans le contexte d’une enquête pour harcèlement allégué, à plus forte raison lorsque la preuve invoquée a été obtenue par un stratagème. Cass.soc. 17.01.24, n° 22-17.474
Un salarié considère que la rupture de son contrat de travail est nulle en ce qu’avec d’autres salariés il aurait subi un harcèlement moral par la direction lors de diverses réunions avec le CHSCT, qui étaient dans les faits des interrogatoires menaçants et intimidants (pressions, chantages, retour sur des primes annoncées) dans le but d’obtenir leurs témoignages afin de soutenir la société dans sa démarche de licencier le responsable régional. Par ailleurs, il remet en cause le sérieux de l’enquête diligentée par le CHSCT et s’interroge sur la lenteur de l’enquête.
A l’appui de son argumentaire, il verse aux débats un enregistrement qu’il a réalisé lors de son entretien avec les membres du CHSCT désignés pour réaliser l’enquête. Cet enregistrement a été réalisé à l’insu des participants à cette réunion.
La Cour d’appel avait souligné le débat qui existe entre « le principe de loyauté de la preuve en matière civile tel qu’il résulte de l’article 9 du code de procédure civile » et « le caractère indispensable ou non de cette production pour les droits de la partie qui s’en prévaut au regard du droit à un procès équitable ».
La Cour d’Appel s’est livrée à un contrôle de proportionnalité :
- Le CHSCT, saisi dans le cadre d’un droit d’alerte pour danger grave et imminent avait diligenté une enquête laquelle a été effective.
- S’il est invoqué une collusion entre l’employeur et le CHSCT, il apparaît que l’Inspecteur du travail et le Médecin du travail avaient été associés à la saisine du CHSCT et qu’il est procédé de ce chef par affirmations.
- Si le salarié fait valoir que l’enquête n’a donné lieu qu’à des comptes rendus très incomplets, il n’en demeure pas moins que l’enquête a bien existé.
- Surtout, la preuve invoquée a été obtenue par un stratagème puisque le salarié avait procédé à l’enregistrement à l’insu de tous les autres participants à l’entretien. Il était ainsi le seul à savoir qu’il existerait un enregistrement et pouvait orienter ses propres déclarations en conséquence, ce qui caractérise un stratagème.
Pour la Cour d’appel, « dans de telles conditions, la production de cette pièce ne saurait être considérée comme proportionnée au but poursuivi dans le cadre d’un procès civil où la loyauté de la preuve demeure un principe fondamental » (Cour d’appel de Toulouse, 4eme chambre section 2, 8 avril 2022, n° 20/00042.
La Cour de cassation valide l’arrêt d’appel :
- Dans un procès civil, « l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats ».
- Le juge doit, « lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi ».
Appliquant cela en l’espèce, la Cour de cassation considère que « justifie légalement sa décision d’écarter des débats un enregistrement clandestin d’une réunion du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) la cour d’appel qui a, d’une part relevé que le médecin du travail et l’inspecteur du travail avaient été associés à l’enquête menée par le CHSCT et que le constat établi par le CHSCT dans son rapport d’enquête du 2 juin 2017 avait été fait en présence de l’inspecteur du travail et du médecin du travail, d’autre part retenu, après avoir analysé les autres éléments de preuve produits par le salarié, que ces éléments laissaient supposer l’existence d’un harcèlement moral, faisant ainsi ressortir que la production de l’enregistrement clandestin des membres du CHSCT n’était pas indispensable au soutien des demandes du salarié ».