République numérique, le projet de loi en faveur d’une évolution progressive en droit des nouvelles technologies

République numérique : projet de loi

Le projet de loi pour une République numérique, porté par la secrétaire d’Etat Axelle Lemaire et le ministre de l’économie Emmanuel Macron, a été adopté en première lecture ce mardi 26 janvier 2016 par l’Assemblée nationale. Cet examen parlementaire constitue un nouveau jalon d’une loi dont la volonté affichée est de préparer la France aux défis du XXIe siècle.

Si ce texte en faveur d’une République numérique prévoit la mise en place de mesures attendues, comme l’organisation de l’accessibilité des sites internet aux personnes en situation de handicap, il comporte également des dispositions novatrices, en envisageant par exemple la réduction du délai de mise à disposition des travaux de recherche, voire franchement insolites, à l’instar de la reconnaissance des compétitions de jeux vidéo.

Focus sur les points clés d’une loi au parcours atypique.

 

République numérique : le résultat direct d’une consultation citoyenne en ligne inédite

 

Pour la première fois, le gouvernement a choisi d’inclure directement les citoyens, et plus précisément les internautes, dans la rédaction d’un acte législatif à travers une plate-forme interactive en ligne. Selon les instigateurs de ce projet, cette inauguration rencontre un franc succès. En attirant plus de 20 000 participants « produisant plus de 140 000 votes, et plus de 8 000 arguments, amendements ou proposition de nouveaux article », cette action ouvre la voie à un potentiel renouvellement de l’expérience. Si l’objet de la loi semble particulièrement approprié à ce type d’exercice, il y a fort à parier que la consultation numérique sera à nouveau employée, autant par souci d’introduire de nouvelles idées que pour octroyer une légitimité supplémentaire aux projets futurs.

Avant même sa promulgation, ce texte peut donc déjà affirmer avoir œuvré pour une République numérique et participative.

 

Une consécration législative du principe de « mort numérique »

 

Véritable question de société, la consécration du principe de « mort numérique » fait, à raison, l’objet d’un net consensus. En reconnaissant à chaque individu le droit d’organiser la manière dont seront traitées ses données personnelles disponibles en ligne après sa mort, le législateur donne sa bénédiction à une requête formulée de longue date. En effet, la libre disposition des données personnelles ne s’éteindra plus avec la mort de l’individu, dont les volontés vont désormais devoir être prises en considération. Cette évolution est tout à fait logique et témoigne de l’évolution parallèle du droit et de nos modes de vie.

 

Un droit à l’oubli conforté pour les mineurs

 

Par un arrêt en date du 13 mai 2014, la Cour de Justice de l’Union européenne a reconnu explicitement le droit à l’oubli des individus, c’est-à-dire au déréférencement de leurs données personnelles présentes sur les moteurs de rechercher en ligne. A la suite de cette décision, Google a par exemple reçu plus de 50 000 demandes de déréférencement  (REFERENCE : Chantal ARENS, « Nous entrons dans l’ère du juge Hermès », Gazette du Palais, 12 janvier 2016, Lextenso, p.11). Or, obtenir le déréférencement de telles données peut s’avérer relever d’un véritable parcours du combattant.

Pour pallier une éventuelle difficulté à faire jouer ce droit à l’oubli, le projet de loi sur la République numérique prévoit la création d’une procédure accélérée pour les mineurs, ou pour les personnes dont les données en cause ont fait l’objet d’une publication alors qu’ils étaient encore mineurs.

Très simple, cette nouvelle procédure consistera en une demande adressée à la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) qui aura alors 15 jours pour statuer.

 

L’institution d’une sanction pénale nouvelle en réponse à des phénomènes délinquants inédits

 

Sur un terrain plus intime, un amendement au projet de loi sur la République numérique va également permettre l’institution d’une sanction pénale en cas de publication de photographies ou vidéos à caractère pornographique sans le consentement du (ou de la) principal(e) intéressé(e) à hauteur de deux ans d’emprisonnement et 60 000 euros d’amende.

 

La sanctuarisation du principe de neutralité du net, une restriction des pouvoirs des opérateurs télécoms

 

Née de la crainte de voir émerger un système d’offre différencié, cet article vise à prévenir l’apparition d’un réseau internet à deux vitesses. Cette préoccupation est aujourd’hui mondiale, comme en témoigne par exemple la vive controverse que suscite ce sujet aux Etats-Unis (REFERENCE : la Federal Communications Commission (FCC) est le régulateur des communications américain en charge de veiller au respect de la neutralité du net outre-Atlantique). A la suite de plus de deux années de tractations, le Parlement européen a fini par adopter un règlement discuté promouvant un « internet ouvert ». Cependant, les détracteurs de ce texte sont nombreux et dénoncent surtout le clair rétropédalage des parlementaires européens quant à la possibilité de poser une définition légale claire de la neutralité du net.

Or, si la polémique est omniprésente, les termes du débat peuvent sembler flous.

Polarisant des intérêts fortement divergents, la neutralité du net est une notion qui vise à retirer aux opérateurs télécoms tout pouvoir d’appréciation quant aux contenus consultés par les utilisateurs.

Cette question renvoie notamment à celle de la vitesse de connexion. En cas d’absence de neutralité, les opérateurs télécoms pourraient notamment privilégier les contenus publicitaires ou commerciaux, moyennant rémunération, ce qui aurait mécaniquement pour effet de limiter la vitesse de connexion aux autres contenus.

Par ailleurs, l’accès même à certains sites internet pourrait être restreint, et les opérateurs de télécoms seraient libres de discriminer à loisir les différents sites disponibles en ligne, selon leurs intérêts économique et/ou politique. De fait, en l’absence de toute contrainte, les opérateurs deviendraient maîtres d’internet, ou peu s’en faut, alors que la définition même d’internet a reposé jusqu’à aujourd’hui sur son organisation décentralisée et horizontal.

La neutralité du net vise donc d’abord et avant tout à éviter une soumission complète de la Toile à une économie de marché débridée, et c’est précisément en ce sens qu’intervient le projet de loi pour une République numérique.

Sous le contrôle de l’Autorité de Régulation des Communications Electroniques et des Postes (ARCEP), les opérateurs télécoms auront l’obligation de respecter la neutralité du net. L’ARCEP aura donc la difficile tâche de surveiller l’action des opérateurs télécoms afin de s’assurer que leur comportement est en adéquation avec le principe de neutralité du net.

 

Un encadrement accru des courriers électroniques, entre portabilité et confidentialité

 

Le projet de loi pour une République numérique concerne également les courriers électroniques. Ceux-ci devront désormais être considérés comme des correspondances privées, ce qui accru leur protection légale. Cet article est particulièrement judicieux, puisqu’il renforce le droit à la vie privée des individus dans un domaine qu’ils investissent de plus en plus.

En outre, le projet de loi vise aussi à contraindre les opérateurs de messagerie à assurer une portabilité des boites de messagerie, ce qui signifie que tout utilisateur qui en fera la demande sera en mesure de changer d’opérateur de messagerie en conservant les données liées à son compte personnel (messages électroniques, contacts, etc.).

Encadrement des courriers électroniques : portabilité et confidentialité

L’introduction d’une « liberté de panorama »

 

Bien que cette mesure ait fait l’objet de discussions animées dans l’hémicycle du Palais Bourbon, elle a été soutenue par le gouvernement et la vaste majorité des contributeurs consultés par le biais de la plate-forme en ligne.

Relativement méconnue, l’idée de consacrer une liberté de panorama a pourtant de nombreuses applications pratiques pour le justiciable lambda. Cette liberté constitue une exception au principe d’interdiction de diffusion publique d’un cliché dont l’objet principal est une œuvre légalement protégé par le droit d’auteur. Jusqu’à présent, seule une autorisation expresse des ayants droits pouvait permettre une diffusion publique de telles photographies.

En application de la liberté de panorama, une autorisation de diffusion a priori serait admise si l’œuvre est réalisée pour être placée en permanence dans un lieu public.

Néanmoins, cette réforme est déjà envisagée par le Parlement européen, ce qui limite l’intérêt pratique de l’insertion de cette liberté dans le projet de loi pour une République numérique.

 

Un avancée certaine mais limitée vers une modernisation du droit des nouvelles technologies

 

Ce projet de loi pour une République numérique introduit donc plusieurs évolutions substantielles de la législation actuellement en vigueur, dans la perspective de tenir celle-ci à jour d’une réalité virtuelle qui semble parfois lui échapper. Cependant, l’activisme du législateur européen pourrait, à terme, limiter très largement les possibilités d’action au niveau national.

Le droit numérique, dont la mouvance perpétuelle est conditionnée par la vitesse des mutations technologiques, connaît donc à travers ce projet une nouvelle évolution renforçant les droits individuels des internautes tout en leur offrant de nouvelles possibilités et garanties. La législation relative aux nouvelles technologies peut être difficile à appréhender, notamment du fait de sa relative jeunesse et des enjeux nouveaux qu’elle soulève, et il est parfois pertinent pour les justiciables d’être accompagné d’un avocat dans leurs démarches.