Les délais de prescription

Les délais de prescription
Précisions sur le point de départ et leur durée
Arrêt de la CA de VERSAILLES du 19 mai 2025
N° RG 23/00191

Dans un arrêt du 19 mai 2025, la Cour d’appel de VERSAILLES a dû se pencher sur la question des délais de prescription. Dans un contexte encore en mouvement, elle a apporté quelques précisions intéressantes.

Le litige portait sur la requalification de contrats de mission en un unique contrat à durée indéterminée. Les demandes tendaient à faire requalifier le contrat dès le premier contrat de mission. En outre, la fin de la relation entre l’intérimaire et l’entreprise utilisatrice n’ayant pas donné lieu à une procédure de licenciement, il était demandé logiquement le règlement de l’indemnité de licenciement, de l’indemnité compensatrice de préavis et de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le débat porté par le Cabinet LMC était entre autres pour chaque demande celui du point de départ du délai de prescription et de sa durée.

          1. Le point de départ des délais de prescription

La société affirmait que les différents délais couraient à compter de la fin de la relation de travail, quand bien même celle-ci n’avait-elle pas donné lieu à une procédure de licenciement.

La partie adverse prétendait quant à elle que le délai de prescription ne pouvait avoir commencé à courir, à défaut de lettre de licenciement. Elle s’appuyait dans sa démonstration sur un arrêt de la Cour de cassation du 16 mars 2022 (20-23.724) :

« Vu l’article L. 1471-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 :

5. Il résulte de ce texte que le délai de prescription de l’action en contestation d’un licenciement court à compter de la notification de celui-ci.

6. Pour dire prescrites les demandes de la salariée relatives à la rupture de son contrat de travail, l’arrêt retient que la date d’interruption de la relation de travail est le 31 mars 2013, point de départ de la prescription, que n’ignorait nullement la salariée ainsi que le confirment ses demandes devant la formation de référé, saisie le 3 novembre 2015, en vue d’obtenir la délivrance d’une attestation Pôle emploi, d’un certificat de travail et de bulletins de salaire.

7. En statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté l’absence de notification par l’employeur de la rupture du contrat de travail, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».

De son côté, la société expliquait que la Cour de cassation avait également jugé dans un arrêt du 24 avril 2024 (n° 23-11.824), rendu dans une affaire portant sur une fin de contrats de mission successifs et une demande de requalification en CDI (donc par nature sans notification de rupture du contrat) :

« Selon l’article L. 1471-1 alinéa 2 du code du travail dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture.

La cour d’appel, après avoir relevé que la relation de travail avait pris fin le 14 avril 2017, en a exactement déduit que, l’action ayant été engagée le 7 février 2019, la demande en paiement de dommages et intérêts du salarié en raison d’un licenciement abusif était irrecevable comme étant prescrite ».

La Cour d’appel de VERSAILLES devait donc clarifier cette situation. Elle a statué ainsi, renvoyant expressément à la motivation de la Cour de cassation du 24 avril 2024 :

« En l’espèce, la relation de travail ayant pris fin le 5 juin 2018 au terme du dernier contrat de mission, et l’action en justice ayant été engagée le 24 juillet 2020, les demandes en paiement de dommages et intérêts du salarié en raison d’un licenciement abusif et au titre de l’indemnité de licenciement seront donc déclarés irrecevables comme étant prescrites (…) » 

Ainsi, peu importe qu’il n’y ait pas eu de procédure de licenciement, le délai de prescription court à compter de la fin effective de la relation contractuelle.

          2. Sur la question de la durée des délais de prescription

La Cour de cassation a jugé que la durée des délais de prescription était selon la nature de la créance (n° 20-23.724) :

« La durée de la prescription étant déterminée par la nature de la créance invoquée, l’action en paiement de dommages-intérêts en raison d’un licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse, fût-elle due à la requalification de contrats de mission en contrat à durée indéterminée, est soumise à la prescription de l’article L. 1471-1 du code du travail se rapportant à la rupture du contrat de travail ».

 Les délais de prescription ne pouvaient donc être uniformes, liés à la demande de requalification.

Le délai de prescription de la demande relative à l’indemnité légale de licenciement et à celle en dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : s’agissant de créances indemnitaires, le délai de prescription est d’un an.

La Cour d’appel de VERSAILLES le confirme :

« La durée de la prescription étant déterminée par la nature de la créance invoquée, l’action en paiement de dommages et intérêts en raison d’un licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse, fût-elle due à la requalification de contrat de mission en contrat à durée indéterminée, est soumise à la prescription de l’article L. 1471-1 du code du travail se rapportant à la rupture du contrat de travail ».

En conséquence, dans notre cas, le demandeur était prescrit. Et c’est bien pour cela qu’il prétendait que le délai ne pouvait pas avoir encore couru faute de notification de la rupture de son contrat.

Une telle application des délais de prescription peut aboutir, comme dans notre espèce, à ce que le salarié obtienne la requalification en CDI (prescription de deux ans), l’indemnité compensatrice de préavis (créance salariale) mais pas l’indemnité légale de licenciement et pas d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

          3. Sur la question de la demande de rappel de salaire sur les périodes intercontrat

Dans cette affaire, le demandeur formulait également une demande de rappel de salaire conséquente. La raison était liée au fait qu’il avait connu d’importantes périodes intercontrat, ce que la société n’avait pas manqué d’utiliser pour démontrer l’absence d’emploi pérenne, en vain.

Pourtant, l’on en arrivait à une situation difficilement tenable. La Cour d’appel, sans doute prise entre l’exigence posée la Cour de cassation, de requalifier les contrats de mission dès le premier et sans doute sensible au montant de la demande pécuniaire a rappelé que la charge de la preuve de s’être tenu à la disposition de l’employeur incombe au salarié, et a débouté celui-ci de sa demande au motif que :

  • Les périodes interstitielles n’étaient pas précisées,
  • La mise à disposition n’était pas démontrée, les avis d’imposition ne suffisant pas à l’établir.

L’exigence d’une requalification dès le premier contrat de mission montre ses limites dans ce dossier, aux coupures intercontrat nombreuses, amenant à des demandes excessives, qui ont pu être amoindries par la Cour d’appel.

Arrêt CA VERSAILLES 19052025